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la Cagouille Enchaînée
14 mars 2011

FAUT-IL ENFERMER LES FOUS ?

Le Dr Yann Hodé, psychiatre à l'hôpital de Rouffach (Haut-Rhin) décrypte le projet de loi sur l'hospitalisation sous contrainte, un texte complexe qui sera débattu ce mardi à l'Assemblée nationale.

Faut-il craindre, avec les opposants au projet de loi, les internements abusifs?

Cette inquiétude se justifie, quand on sait que certains régimes totalitaires ont su, par le passé, utiliser l'alibi psychiatrique pour neutraliser leurs opposants. Des sociologues et des philosophes, comme Michel Foucault, ont aussi attiré l'attention sur les dangers d'une psychiatrie déshumanisante ou normalisatrice, expression d'un pouvoir ou d'un dogmatisme scientiste qui broierait l'individu. Aujourd'hui, c'est le collectif des 39 contre la nuit sécuritaire [lancé par des psychiatres, rejoints par des malades et des citoyens] qui se mobilise sur ce thème. Et en effet, il faut rester vigilant. 

Pourquoi, alors, ne pas bannir l'internement?

Ce serait nier l'existence de pathologies mentales susceptibles d'altérer le jugement et le comportement des êtres humains, limitant leur libre arbitre et nécessitant d'intervenir contre leur volonté. Nous parlons ici de malades que leur pathologie empêche de venir solliciter des soins. Les études les plus récentes montrent que seulement 40% des malades souffrant de schizophrénie ont une bonne perception de leurs troubles. Les autres, les plus nombreux, se croient guéris. Ce défaut de perception serait lié à un déficit spécifique des fonctions cérébrales: le cerveau n'est pas capable d'analyser correctement la situation. Il n'identifie pas le délire ou les hallucinations comme pathologiques, il ne perçoit pas non plus les autres symptômes comme le manque d'initiative, les problèmes d'attention ou de mémorisation. 

Le ministre de la Santé veut imposer aux patients de prendre leur traitement, y compris à domicile. Faut-il s'en alarmer?

Sûrement pas. C'est un progrès, au contraire, de pouvoir soigner un patient sans avoir à l'hospitaliser. Actuellement, il n'y a pas de moyen de contraindre un malade à prendre un traitement si ses troubles ne sont pas suffisamment graves, c'est à dire "nécessitant des soins immédiats sous surveillance constante". Je vous donne un exemple, dans mon département, le Haut-Rhin, celui de cette grand-mère dont le petit-fils de 33 ans reste enfermé entre ses quatre murs. Il maigrit, il devient sale, agressif. Il ne veut pas se soigner et personne ne veut s'en occuper. Elle est intervenue sans succès auprès du préfet, du juge, de la DDASS. Elle désespère, au point de se dire: faut-il qu'il se tue pour que l'Etat intervienne? 

En pratique, comment fait-on pour obliger le patient à prendre ses médicaments sans l'hospitaliser?

Le projet de loi reste muet là-dessus, comme le soulignent des associations de familles de malades. L'une de nos idées, à l'hôpital de Rouffach, consisterait à créer une équipe dédiée de trois infirmiers qui opérerait sur tout le département. Ils se rendraient au domicile des patients en rupture de traitement, sur signalement de la famille ou de médecins. Ils seraient formés à convaincre les patients selon une approche dite motivationnelle. Cette technique, en apparence triviale, consiste à respecter le point de vue du patient, y compris ses idées délirantes. On renonce à lui faire admettre qu'il est malade. Alors sa méfiance tombe, ses défenses s'abaissent. Ensuite, on cherche, en écoutant le malade, d'autres bonnes raisons qu'il aurait de renouer avec les soins et les médecins. Sa préoccupation peut être, par exemple, de mieux dormir, ou de ne plus avoir sa famille sur le dos. Il est possible de bâtir une alliance avec lui sur cette base. Ce mode d'approche ne s'improvise pas, mais bien maîtrisé, il s'avère efficace, comme le montre de nombreuses études. Pourtant il reste peu utilisé en France. 

Et si les infirmiers échouent?

Il ne faut pas se voiler la face. Si l'intervention des soignants se solde par un échec, il ne reste plus que l'hospitalisation forcée, sous escorte de la police. 

Envoyer des policiers chez un patient qui refuse de prendre ses comprimés, est-ce vraiment proportionné?

Il ne peut s'agit que du dernier recours. Mais ceux qui s'offusquent de cette atteinte à la liberté individuelle oublient qu'en s'abstenant d'imposer les soins, on fait courir des risques au patient. Des travaux scientifiques récents montrent que l'absence de traitement aggrave le pronostic de la maladie. La libération excessive de dopamine [un neurotransmetteur] dans le cerveau durant les crises psychotiques aurait un effet toxique pour les neurones. Rappelons que 10% des personnes souffrant de schizophrénie se suicident. Et que l'absence de prise en charge faciliterait, selon certaines études, les passages à l'acte. 

   LEXPRESS.fr   

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