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la Cagouille Enchaînée
21 mars 2011

LIBYE : COMMENT LA COALITION SE FISSURE

 
De nombreux pays, qu'ils participent ou non à l'intervention militaire en Libye, expriment des réserves sur les frappes menées par la coalition internationale contre le régime libyen. 
 

Deux jours après son lancement, l'opération "Aube de l'Odyssée" ne fait plus l'unanimité parmi la communauté internationale pourtant largement mobilisée pour protéger les civils libyens des assauts menés par les troupes pro-Kadhafi. Les bombardements dépassent-ils le cadre fixé par l'ONU? Traduction: visent-ils réellement à protéger la population civile ou bien à "chasser Kadhafi"? Jusqu'où pousser le "droit d'ingérence"? La coalition, dont les contours sont encore mal définis, fait déjà face à de nombreuses interrogations

Réserves de la Ligue arabe

La Ligue arabe a estimé que les bombardements s'écartaient du mandat fixé par la résolution 1973 de l'ONU. Résolution dont le but est "d'imposer une zone d'exclusion aérienne", a souligné Amr Moussa, le chef de l'organisation panarabe, qui prévoit une réunion extraordinaire dans les jours à venir. "Ce que nous voulons c'est la protection des civils et pas le bombardement d'autres civils", a déclaré ce diplomate en vue pour diriger l'Egypte de l'après-Moubarak par ailleurs.  

LibyeLigueArabe

Au Caire ce lundi, le chef de la Ligue arabe Amr Moussa (à droite) rappelle que "ce que nous voulons c'est la protection des civils, pas le bombardement d'autres civils" en Libye. Le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon (à gauche) répond: il faut que "la communauté internationale parle d'une seule voix" face au régime de Kadhafi.    REUTERS/Amr Abdallah Dalsh

L'appui des nations arabes est crucial, face à un régime dont la propagande assure que l'intervention internationale est une agression occidentale... Pour Ban Ki-moon, secrétaire général de l'ONU, des "mesures fortes et décisives" n'ont d'ailleurs été rendues possibles que grâce au soutien de la Ligue arabe le 12 mars dernier à l'imposition d'une zone d'exclusion aérienne au-dessus de la Libye.  

Où en est l'opération "Aube de l'Odyssée" ?
Après la première vague de frappes contre les défenses antiaériennes et des blindés près des lignes des insurgés, la nouvelle étape consiste à attaquer les lignes de ravitaillement des pro-Kadhafi pour limiter leur capacité à se battre. Dans la nuit de dimanche à lundi, des missiles ont détruit un bâtiment administratif à l'intérieur du complexe résidentiel du numéro un libyen dans le sud de Tripoli, relançant les spéculations sur d'éventuelles attaques ciblant Kadhafi. La question divise également la coalition.  
Cette intervention militaire, visiblement souhaitée par l'opposition libyenne, surtout depuis la reprise de plusieurs villes rebelles par les pro-Kadhafi, est mise en place dans le cadre de la résolution 1973 du Conseil de sécurité de l'ONU. Ce texte exige l'arrêt complet des attaques contre des civils, impose une zone d'exclusion aérienne en Libye et permet des frappes pour contraindre les pro-Kadhafi à cesser la répression qui a fait des centaines de morts et poussé 300 000 personnes à fuir le pays depuis le 15 février.  

Alors que ce texte était encore en débat, la Ligue arabe avait souhaité que sa formation "joue un rôle" dans le cadre de ce qu'il qualifiait "d'action humanitaire" pour soutenir l'opposition libyenne, alors que le régime de Kadhafi a "perdu sa légitimité" du fait des "violations" commises contre son propre peuple. Les Etats-Unis avaient "salué" cet appel, soulignant que la communauté internationale était "unie" dans son appel à l'arrêt des violences.  

Il est toujours aussi important, a ajouté Ban Ki-moon au Caire ce lundi, que "la communauté internationale parle d'une seule voix pour mettre en oeuvre la résolution du Conseil" de sécurité de l'ONU. La réponse aux doutes accrus de la Ligue arabe est donc venue sans attendre, depuis Rio de Janeiro où le président américain Barack Obama se trouvait, et par la bouche d'un de ses porte-parole. "La résolution approuvée par les Arabes et le Conseil de sécurité des Nations unies inclut 'toutes les mesures nécessaires' pour protéger les civils, ce qui, nous l'avons bien dit, inclut une zone d'exclusion aérienne tout en allant au-delà".  

La mise au point du porte-parole de la Maison-Blanche a ensuite été précisée et nuancée par d'autres responsables américains... Les opérations n'ont pas pour objectif de "chasser Kadhafi du pouvoir" mais bien de "protéger les civils" libyens, a rappelé de son côté l'amiral Mullen, le plus haut gradé américain.  

Et Robert Gates, secrétaire d'Etat américain à la Défense, de se prononcer contre une frappe militaire qui ciblerait directement Mouammar Kadhafi, qui irait au-delà de la résolution 1973, alors même qu'une frappe a visé un bâtiment administratif à l'intérieur du complexe résidentiel du numéro un libyen dans le sud de Tripoli, ce dimanche soir. 

Où est l'Union africaine ?

Pendant les débats, nombreux étaient ceux qui disaient essentiel le soutien de l'ONU, de la Ligue arabe et de l'Union africaine à tout type d'intervention internationale... L'ONU s'est prononcée, la Ligue arabe aussi, mais qu'en est-il de l'Union africaine? Particulièrement discrète sur les combats en Libye, un membre influent de cette organisation continentale, l'UA a créé un comité spécial pour évaluer la situation dans ce "pays frère" (qui occupait sa présidence en 2009).  

Ce comité, composé de chefs d'Etat africains (Mauritanie, Mali, Congo, Afrique du Sud, Ouganda), a appelé dimanche à Nouakchott à "la cessation immédiate de toutes les hostilités". Toute "solution doit être conforme à notre attachement au respect de l'unité et de l'intégrité territoriale de la Libye, ainsi qu'au rejet de toute intervention militaire étrangère qu'elle qu'en soit la forme", selon Mohamed Ould Abdel Aziz, le président mauritanien.  

Appelant la communauté internationale "à la retenue" pour éviter "de graves conséquences humanitaires", l'UA lui a demandé d'apporter "un appui sans réserve à ses efforts", dans ce domaine. Le comité a aussi regretté "de ne pouvoir se rendre" dimanche en Libye, l'autorisation demandée à la communauté internationale lui ayant été "refusée".  

Une réunion est prévue le 25 mars prochain à Addis Abeba avec la Ligue arabe, l'Organisation de la conférence islamique (OCI), l'Union européenne (UE) et les Nations unies. Objectif: "mettre en oeuvre un mécanisme de consultation continue et d'action concertée" pour résoudre la crise libyenne.  

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Une frappe de la coalition vise des véhicules identifiés comme appartenant à des forces pro-Kadhafi, ce dimanche, sur la route entre Ajdabiya et Benghazi.   REUTERS/Goran Tomasevic

Russie et Chine, entre souveraineté et intérêts

Alors que l'appui de l'allié arabe semble s'effriter, même si le Qatar et les Emirats participent aux opérations, et que l'Union africaine rejette toute intervention militaire étrangère, le soutien d'autres pays s'étiole encore un peu plus. 

La Russie et la Chine, par exemple, se sont abstenues jeudi à New York. Certes, elles auraient pu, en leur qualité de membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU, poser leur veto à la résolution 1973... Dmitri Medvedev a expliqué ce lundi que "la résolution reflète notre interprétation de ce qui se passe en Libye, mais pas totalement. C'est pourquoi nous n'avons pas utilisé notre veto". Cette position complexe permet aussi à Moscou et Pékin de ne pas être perçus comme complices du régime libyen, bien sûr, et dans le même temps de se démarquer de la coalition, en cas d'embourbement.  

La Chine fait valoir depuis début mars que "la souveraineté, l'intégrité territoriale et l'indépendance de la Libye doivent être respectées" et que "toute action de l'ONU à l'encontre de la Libye doit avoir pour objectif un retour rapide à la stabilité". Une position qui n'est pas dépourvue d'arrière-pensées et qui pourrait aussi s'expliquer par les intérêts chinois sur le continent africain... Samedi, un responsable du secteur pétrolier libyen indiquait même que Tripoli pourrait offrir des contrats à des pays comme la Chine, des pays "amis".  

Les intérêts de la Russie, eux, sont plus relatifs aux ventes d'armes... Début mars, Sergueï Tchemezov, patron de l'entreprise publique russe Rostekhnologuii - la maison mère de Rosoboronexport, l'entreprise publique russe chargée de l'exportation d'armements - déclarait que la situation en Libye pourrait causer un manque à gagner de quatre milliards de dollars à la Russie. 

Après la Yougoslavie, l'Afghanistan et l'Irak... aujourd'hui c'est au tour de la Libye 

Et le déclenchement des frappes n'a pas rapproché ces deux pays de la coalition... "La Chine exprime ses regrets à propos des attaques militaires", et souhaite éviter "une escalade du conflit militaire conduisant à de nouvelles pertes de vies civiles", a déclaré un porte-parole du gouvernement. "Il est inadmissible d'utiliser le mandat du Conseil de sécurité [...], afin de mener à bien des objectifs qui vont clairement au-delà de ses dispositions."  

Quant à la Russie, elle appelle désormais "les pays concernés à cesser de recourir à un usage non-sélectif de la force", a indiqué le porte-parole de la diplomatie russe. Des attaques "lancées sur des objectifs à caractère non-militaire" ont déjà fait "48 civils ont été tués et plus de 150 blessés", et détruit des routes, des ponts et un centre médical, selon lui.  

Le Premier ministre russe Vladimir Poutine mâche encore moins ses mots... Pour lui, la résolution onusienne "autorise tout à tout le monde, n'importe quelle action à l'encontre d'un Etat souverain. Cela me fait penser à l'appel aux croisades à l'époque du Moyen-Age". Une sortie aussitôt critiquée par le président russe Dmitri Medvedev... 

Vladimir Poutine a aussi mis en garde contre l'ingérence en Libye, même si "le régime libyen ne correspond pas aux critères d'un pays démocratique", et mis en parallèle la situation actuelle avec les interventions américaines en Yougoslavie, en Afghanistan et en Irak... "Aujourd'hui c'est au tour de la Libye" de subir l'interventionnisme américain qu'il n'a de cesse de critiquer.  

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Derrière les sourires de Nicolas Sarkozy et Angela Merkel, ce samedi à Paris, le couple franco-allemand ne s'est pas accordé sur le dossier libyen. Paris s'est rapproché de Londres.   REUTERS/Benoit Tessier

Désunion européenne

D'autres pays se sont abstenus lors du vote de la résolution 1973 à New York: le Brésil et l'Inde, "au nom du caractère spontané des révolutions pour l'un, et de l'anti néo-colonialiste pour l'autre", écrit Slate. Et aussi l'Allemagne. Le dossier libyen a en effet révélé une profonde division au sein de l'Union européenne, avec d'un côté Paris et Londres à la manoeuvre diplomatique et militaire, de l'autre l'Allemagne restée en retrait malgré sa proximité avec la France.  

Vite passer le relais à l'Otan ?
La solution serait-elle de rapidement passer le relais à l'Otan, dès que l'Alliance atlantique aura trouvé un accord entre les 28 alliés? La Belgique et le Danemark participent à la coalition mais réclament cette évolution rapide. La Roumanie et la Suède excluent de participer hors de ce cadre. Le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères Jean Asselborn explique qu'"un pays comme le Luxembourg, comme beaucoup d'autres pays, n'a qu'un seul moyen de s'engager c'est dans le cadre de l'Otan". Et passer la main plus tard, en cas de problème seulement, à l'Otan, serait un "très mauvais signal".  
L'Otan est "disposée à venir en soutien" de l'intervention de la coalition internationale en Libye dans "quelques jours", a indiqué lundi à Bruxelles le chef de la diplomatie française, Alain Juppé. Mais une intervention de l'Otan pourrait être encore davantage rejetée par l'opinion arabe, craignent notamment la France et les Etats-Unis. La guerre du Golfe pour libérer le Koweit du joug irakien pourrait avoir valeur de référence à cet égard. A l'époque, en 1991, l'Alliance atlantique n'avait pas été mise en avant mais toutes les procédures utilisées sur le terrain comme le contrôle aérien venaient de l'Organisation. 

Même si, samedi lors du sommet de Paris, Angela Merkel a fait part de son soutien à l'opération, affirmant que la communauté internationale était "unie", Berlin s'est abstenue à New York, craignant haut et fort un engrenage. Une prudence qui s'explique en grande partie par le souci de ne pas brusquer l'opinion publique, alors que l'engagement de l'Allemagne en Afghanistan est déjà une question brûlante

Un sondage réalisé vendredi, entre le vote à New York et les premières frappes en Libye, est venu couronner cette position. Quelque 62% des personnes interrogées estiment justifiée l'intervention déclenchée samedi par la France, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis. Et 65% approuvent aussi la décision du gouvernement d'Angela Merkel de ne pas participer à l'opération militaire.  

L'Allemagne se sent, ce lundi, confortée dans ses réserves à l'égard de l'opération militaire, a estimé lundi le ministre des Affaires étrangères, Guido Westerwelle, en pointant du doigt les critiques de la Ligue arabe. "Lorsque nous entendons ce que la Ligue arabe a dit hier (dimanche), malheureusement, nous constatons que nous avions des raisons d'être préoccupés".  

Il a revanche insisté pour que l'Union européenne se prononce en faveur de sanctions économiques et financières renforcées contre le régime libyen, en particulier dans le secteur pétrolier et gazier. Cette question doit être à l'ordre du jour de la réunion des ministres européens, ce lundi à Bruxelles.  

D'autres pays de l'UE ont affiché un certain scepticisme après le déclenchement des bombardements de la coalition internationale en Libye. Par exemple, l'Italie, très liée à la Libye depuis le traité d'amitié de 2008, met quelques bases militaires à la disposition de la coalition, du bout des lèvres. Mais son ministre des Affaires étrangères, Franco Frattini, ajoute, résumant les craintes de nombreux pays critiques: la coalition ne doit pas mener "une guerre" contre la Libye.  

    LEXPRESS.fr   

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