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la Cagouille Enchaînée
1 avril 2011

DÉMOCRATISER LE NUCLÉAIRE… PAR TIRAGE AU SORT

31/03/2011 à 16h50 (mise à jour le 01/04/2011 à 07h40)
par Jacques Testart, président de la Fondation sciences citoyennes (FSC)

La catastrophe nucléaire au Japon oblige nos dirigeants à justifier leurs décisions et les citoyens passifs à s’interroger. Alors on parle de référendum mais le pouvoir affirme qu’une telle procédure n’est pas nécessaire puisque les citoyens pourront exprimer leur choix en 2012 lors de l’élection présidentielle ! C’est se moquer du monde car le président n’est pas élu sur son engagement pour ou contre une technologie particulière.

Autre argument du pouvoir pour refuser un référendum : la complexité et la variété des problèmes engagés par l’option nucléaire seraient au delà des compétences des simples citoyens. Il est exact que les enjeux sont nombreux, sans négliger l’alternative de sobriété dans notre consommation énergétique (on la réduit de 20% et le problème est réglé !)… Faute d’une mobilisation médiatisée de grande ampleur et de longue durée il est clair que nombre de réponses à une consultation nationale seraient aléatoires ou subjectives. Pourquoi alors ne pas recourir à une autre forme de participation dans laquelle l’avis des citoyens serait réellement éclairé parce que consécutif à des informations complètes et contradictoires.

Imaginons un scénario possible inspiré par une procédure comme celle que nous avons exposée dans Réflexions pour un monde vivable (Ed Mille et Une Nuits, 2003, p101-125). Un institut de sondage tire au sort 200 noms sur les listes électorales puis propose à ces élus du hasard de participer à une réflexion sur la place de l’énergie nucléaire afin de produire des conclusions au service du bien commun. Quelques dizaines d’entre eux acceptent cet investissement non rémunéré, parmi lesquels l’institut sélectionne une quinzaine de personnes, motivées mais sans lien avec l’industrie nucléaire, avec le souci d’obtenir la plus grande diversité possible (critères socioéconomiques, géographiques, sexe, âge,…). Par ailleurs, l’organisateur constitue un comité de pilotage pour établir le programme de la formation qui sera dispensée au panel de citoyens. Ce comité comprend des spécialistes porteurs de convictions et de solutions variées (si elles existent) tant on constate que la technoscience n’est pas neutre et qu’il n’est aucune chance d’objectivité sans l’expression des contradictions. On pourrait retrouver dans ce comité des attelages aussi improbables que, par exemple, Jean-Marc Jancovici et Benjamin Dessus, un expert d’Areva et un spécialiste des énergies renouvelables, l’un de nos innombrables adeptes de l’économie compétitive et Serge Latouche… La mission principale de ce groupe hétérogène est de parvenir à un consensus sur la nature des questions à traiter, la durée de formation accordée à chaque question, l’identité des formateurs, parmi lesquels des experts de l’université et de l’industrie mais aussi de la société civile. A l’issue d’une formation qui pourrait durer deux week-ends, les citoyens, devenus suffisamment compétents, choisiraient des experts complémentaires à ceux qui leur furent proposés afin de les interroger lors d’une ultime session, puis ils rédigeraient eux-mêmes leurs conclusions en indiquant leurs éventuelles divergences sur certains points.

Un tel scénario a été largement expérimenté dans le monde depuis plus de 20 ans mais de façon un peu brouillonne, sous le nom de conférence de citoyens, et il a été récemment défini plus rigoureusement comme convention de citoyens (voir sur sciencescitoyennes.org). La capacité d’apprentissage et de créativité de personnes «ordinaires» placées dans des conditions optimales d’information, de réflexion et d’échanges, la responsabilité et l’altruisme dont elles témoignent constituent une révélation sur les potentialités humaines et le gâchis ordinaire qu’on en fait, autant qu’un miracle de démocratie expérimentale comme je l’ai évoqué ici. On peut admettre que l’avis exprimé par un tel panel correspond à celui que produirait la population entière si elle bénéficiait de telles conditions, ce qui est évidemment impossible. Pour s’en assurer, pourquoi ne pas organiser plusieurs panels indépendants mais simultanés qui révéleraient le degré de fidélité de la procédure ? Et puisque l’atome ignore les frontières, pourquoi ne pas étendre ces consultations à l’Europe ? Et puisque les frontières de l’Europe ne sont pas celles de l’humanité, pourquoi l ’ONU ne prendrait-elle pas en charge de multiples consultations mondiales ? Bien sûr, il n’est nul besoin de recourir à une convention de citoyens, ni à un référendum, ni même à un «débat public» si le pouvoir s’obstine à avoir raison en posant a priori qu’il n’est pas question de revenir sur les choix nucléaires. Au fait, de qui sont ces choix qu’on prétend «de la nation» ?

Dernier ouvrage paru: Labo planète ou comment 2030 se prépare sans les citoyens (avec Catherine Bourgoin et Agnès Sinaï), Ed Mille et Une Nuits, 201.

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