Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
la Cagouille Enchaînée
5 juin 2011

BEN ALI, UN AMI SI GÉNÉREUX

Régis Soubrouillard - Marianne | Mardi 31 Mai 2011

Séjours offerts, voiliers, hôtels somptueux, pendant plus de 20 ans, les élites politico-médiatiques ont profité des largesses du régime Ben Ali, fermant les yeux sur le l'aspect dictatorial et répressif. Un aveuglement complice qui explique largement la lenteur des réactions diplomatiques françaises au moment du déclenchement de la révolution de Jasmin. Dans Tunis et Paris, les liaisons dangereuses, les journalistes Nicolas Beau et Arnaud, reviennent sur cette histoire d'amour tragique.

« Chez nous, c’est une stagiaire qui suit le dossier tunisien », voilà ce qui fut dit à Nicolas Beau en 1999 lors d’une conversation avec un des grands patrons des services de renseignements français. « Circulez, y’a rien à voir », tout va bien, la Tunisie est un pays ami. Dans Tunis et Paris, les liaisons dangereuses, un livre court  qui fourmille d’anecdotes éclairantes sur l'ambiguïté des relations entre les deux pays.

Les journalistes Nicolas Beau et Arnaud Muller pointent particulièrement la diplomatie française, l’ambassadeur Pierre Ménat « totalement acquis au régime Ben Ali » en prend pour son grade : « les innombrables séances de karaoké que cet aimable émissaire organisait constituent le seul exercice où il laissera un souvenir à Tunis ». Moins féru de karaoké, son homologue américain, dans des notes révélées plus tard par Wikileaks décrivait, lui, le caractère « quasi mafieux » de l’Etat tunisien.  

Les liaisons apparaissent toutes aussi douteuses sur le plan commercial. C’est le cas de Marouane Mabrouk qui retient l'attention. A la tête des franchises de Géant et Monoprix en Tunisie, patron d’Orange Tunisie, accessoirement gendre de Ben Ali, il est depuis toujours un allié privilégié de la France et continue de travailler aujourd’hui à Tunis. 

En février, sur son blog, Nicolas Beau racontait que « si Mabrouk explique qu'il est en instance de divorce avec son épouse depuis un an, il continue à gérer les biens mal acquis sous le rêgne du beau père. Il possède en effet des participations dans d'innombrables affaires: orange, Le Moteur (Fiat et Mercedes, la BIAT, la GAT,Géant et Monoprix le Golfe d'Hammamet. Sans parler des ses innombrables biens immobiliers dont j'ai pu visionner la liste ». Autant de biens acquis avec les procédés du régime Ben Ali.

Les autorités ont gelé tout ses avoirs en avril 2011 mais son sort serait suivi de très près par les autorités françaises.

LONGUET ET JEAN-MARC SYLVESTRE SUR UN VOILIER AUX FRAIS DU PRINCE

Sur un plan plus politique, passons sur l’époque bénie où Chirac évoquait « le miracle économique tunisien »  en 1995 ; sa réélection de 2002, la quasi-totalité des ministres de son gouvernement iront se pavaner sur les plages tunisiennes, les stars des médias en feront leur destination favorite souvent aux frais du prince Ben Ali. La récente révélation des inrocks, évoquant un séjour de l'actuel Ministre de la Défense, Gérard longuet, accompagné de son ami, le journaliste économique Jean-Marc Sylvestre dans un hôtel de luxe du pays pris en charge par le régime « Ben Ali » en est une nouvelle preuve.

A l'époque conseiller politique du patron de l'UMP, un certain Nicolas Sarkozy, le séjour est organisé par  l'Agence tunisienne de Communication externe (ACTE), « le bras armé de l'ex-pouvoir tunisien pour organiser des séjours agréables aux politiques et aux journalistes étrangers » écrivent les Inrocks. Pour l'anecdote Longuet et Jean-Marc Sylvestre, des habitués de ce type de séjour, tous frais payés, bénéficieront d'un voilier de 17 mètres de long pour leur petite escapade.

Les communicants tunisiens n'ont rien à envier à leurs homologues européens. En janvier 2011, alors que la révolte démarre, le magazine Tunisie Plus consacre sa une à « Séguéla, fils de pub, fils du sud ». Propriété d'Hosni Djemmali, connu pour ses invitations dans ses établissements luxueux, Tunisie Plus est un trimestriel à la gloire du régime auquel collaboreront plusieurs grandes plumes de la presse française.   

Les amis de la Tunisie de Ben Ali sont légions, mais c’est Philippe Séguin qui apparaît comme « l’allié indéfectible ». En reconnaissance, Ben Ali lui « offrira » d’ailleurs  en 1997 l’appartement d’enfance où il avait vécu avec sa mère. Rencontré par les auteurs, le propriétaire de cette médina spolié de son bien par le pouvoir, est un entrepreneur franco-tunisien qui a sa carte à…l’UMP et n’a toujours pas avalé la couleuvre.  

« Le gouverneur de Tunis m’avait expliqué que Ben Ali voyait en Philippe Séguin un futur premier Ministre » raconte Mhadheb el Jed, qui récupérera son bien en 2003 après des négociations au forceps avec Philippe Séguin.

DES AUTORITÉS POLITIQUES PARFAITEMENT INFORMÉES DES DÉRIVES DU RÉGIME

En revanche Mitterrand ne goûtait guère la compagnie du dictateur  tunisien, pas plus que son entourage : « un, c’est un flic, et deux, un flic qui est con » disait Védrine. Mais jamais la diplomatie française ne coupera les ponts avec le régime : une seule raison, la menace islamiste. Largement manipulée après les attentats du 11 septembre, qui se révèleront une « divine surprise » pour le régime qui s’affiche comme un rempart.

Défenseur de la presque dernière heure de son ami ben Ali, dont il appréciait les commandes d'Airbus et autres centrales thermiques, Sarkozy a toujours vanté une Tunisie soucieuse des « libertés publiques ». Une phrase comprise comme un encouragement au pouvoir en place.

Plus près de nous, les auteurs reviennent évidemment sur l’épisode MAM, épinglée à son tour, tant ses conflits d’intérêts pèseront dans son aveuglement coupable à l’égard du mouvement révolutionnaire. Toutes les ambiguités et les incohérences des relations franco-tunisiennes sont mises au jour. Tant les  complaisances de la gauche que les complicités de la droite. Mais c’est surtout l’aveuglement complice des élites françaises lors des crises arabes qui frappe.    

Yves Aubin de la Messuzière, ambassadeur de France en Tunisie de 2002 à 2005, considéré par les auteurs, comme le seul ambassadeur véritablement compétent de ces 25 dernières années, expliquait dans une tribune publiée dans Libération que l'ambassade avait informé Paris de la dégradation des libertés publiques, de la corruption et de l'exaspération de la jeunesse. 

«Les autorités politiques françaises étaient donc parfaitement informées des dérives du système ben Ali, qui rejetait toute référence à la question des droits de l'homme (...) L'expertise du Quai d'Orsay était négligée», écrit-il. Pourtant, au quai d’Orsay, la « séquence tunisienne » est qualifiée de « trou noir ».  
Un constat qui devrait contraindre la France  à engager une réflexion de fond sur sa politique au Proche-Orient et en Afrique du Nord et à être beaucoup plus attentive à l'évolution des sociétés arabes et notamment à leur jeunesse.

   MARIANNE2.fr  

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité