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la Cagouille Enchaînée
25 septembre 2011

QATAR : LE MONDE DIPLO SE LANCE DANS LE PUBLIREPORTAGE PÉTROLIER

19 paragraphes à la gloire de l'économie de l'émirat, record à battre

Quelle mouche a bien pu piquer Le Monde diplo, qui consacre au Qatar un dossier publi-rédactionnel ? Dans son numéro de septembre 2011, le mensuel propose un supplément spécial intitulé "Le Qatar à l'heure de la diversification". "Petit émirat du golfe Arabo-Persique, le Qatar s'est, en quelques années, hissé sur le devant de la scène économique mondiale", indique le texte introductif de ce dossier de trois pages qui comprend des articles sur la diversification économique, l'atout gazier et un dernier, plus critique, sur l'embarras du gouvernement à cause d'Al-Jazeera.

L'article à ne pas manquer est celui qui ouvre le dossier intitulé "Du pétrole au tourisme d’affaires". Vous saurez tout sur les principaux atouts de l'émirat. Mais alors vraiment tout... avec 19 paragraphes (pas un de moins) sur sa formidable politique économique. Un publi-reportage qui n'est pas annoncé comme tel... malgré une publicité, en dernière page, pour une compagnie privée du Qatar.

Le Qatar ? C'est avant tout du pétrole et du gaz (les hydrocarbures représentent 60% des revenus de l'Etat). Mais depuis fin 2008, le pays diversifie son économie dans le cadre d'un plan de développement baptisé "National Vision 2030".

Et Le Monde diplo de détailler cette politique de diversification... en 19 paragraphes ! On se contentera des accroches des paragraphes, qui donnent le ton. Ainsi, "ce programme stratégique a officiellement commencé en mars 2011"(§1). En quoi consiste-t-il ? Accrochez-vous : il s'agit d'un "ambitieux programme d'industrialisation" (§2) destiné à "attirer les investisseurs étrangers" (§3) puisque le gouvernement "a réformé en profondeur [on a bien dit, en profondeur] la législation, jusque-là protectionniste" (§4). Une bonne nouvelle n'arrivant jamais seule, le Qatar s'apprête également à organiser un "événement majeur qui va doper l’activité économique" (Coupe du Monde 2022, §5). Mais ne prenez pas les Qataris pour des footeux écervelés : "L’un des axes majeurs de l’ambition qatarie pour les vingt prochaines années reste l’économie du savoir" (§6). D'ailleurs, "des entreprises qataries ont aussi commencé à investir le secteur de la recherche et développement" (§7). Après les études, évidemment, faut se détendre : "Outre l’économie du savoir, le tourisme, dans toutes ses déclinaisons, est l’une des priorités du pays" (§8). De quoi donner envie de prendre l'air... "Le développement du tourisme s’accompagne de celui du secteur aérien" (§9).

Qatar, un monde un peu trop diplomate

Si vous n'êtes pas très "farniente", vous pouvez au moins venir au Qatar pour vous refaire le nez puisque cet émirat "veut aussi se positionner comme un centre régional pour le tourisme médical" (§10). Et sur place, pas d'inquiétude, vous pourrez vous loger, "le développement du tourisme est directement lié à celui du secteur immobilier" (§11). Le Qatar est en effet en train de construire une île artificielle baptisée Pearl Island qui "est l’occasion pour les sociétés d’ingénierie qataries de développer leur expertise et leur savoir-faire" (§12). Dans le genre expertise, il y a aussi un autre projet de ville nouvelle, celui de Lusail City, détaillé dans le paragraphe 13.

La pub, un remède de cheval

Attention, prenez des notes : "Située au nord de Doha, cette nouvelle cité, d’un coût total évalué à 5 milliards de dollars, sera achevée en totalité en 2019 et aura une superficie totale de 35 km2. Elle ambitionne d’accueillir 200 000 résidents, 170 000 travailleurs et 80 000 visiteurs. Elle comptera 22 hôtels, 34 mosquées, un parc de bureaux et plusieurs terrains de golf" (pour le nombre de balles, voir avec l'office du tourisme). Et pour s'y rendre, aucun souci, "le Qatar, pays qui rejette le plus de gaz à effet de serre par habitant, veut promouvoir les transports en commun"(§14).

C'est tout ? Non. Il reste encore cinq paragraphes avant de venir à bout de cet article : le développement d'un centre financier (§15), l'agroalimentaire (§16), l'hydraulique (§17) et les placements financiers (§18 et 19) avec des exemples de participation du fonds souverain (dans EADS, Vinci ou encore le PSG). En revanche, aucun chiffre sur les rentrées publicitaires de ce publi-reportage qui se termine par un magnifique encart UDC (compagnie privée qui finance des projets de développement au Qatar).

picto Le Qatar, un remède de cheval pour les caisses du Monde diplo ?

 

Pour être tout à fait complet, dans ce dossier tout à la gloire du Qatar, seul le dernier paragraphe d'un autre article, sur Al-Jazeera, se veut plus critique à l'égard du gouvernement qatari qui maintiendrait une certaine ambiguïté entre sa politique étrangère (allié des Etats-Unis) et la ligne éditoriale d'Al-Jazeera (proche de certains "ennemis" des Américains comme l'Iran ou la Syrie). Mais Le Monde diplo (ébloui par la politique économique du Qatar, si vous avez bien suivi) doute de la sincérité de la prise de distance que semble vouloir afficher le gouvernement vis-à-vis de la chaîne de télévision : "Fidèle à sa désinvolture apparente, le premier ministre qatari déclarait à son interlocuteur égyptien qu’Al-Jazira constituait plutôt un problème pour son gouvernement et que le Qatar serait prêt à la vendre : « On nous a proposé 5 milliards de dollars il y a deux ans. » On n’est pas obligé de le croire". Quelle insolence !

Contacté par @si pour connaître les conditions dans lesquelles ce supplément a été réalisé, le directeur de la rédaction du Monde diplo, Serge Halimi, nous a renvoyé vers la responsable de ce supplément, Anne-Cécile Robert, qui ne nous a pas rappelé.

 

Mise à jour 17h40 : Le Monde diplomatique nous a fait parvenir ce communiqué.

Le Monde diplomatique porte un regard critique sur le rôle de la publicité. C’est pourquoi nous avons fait le choix d’en limiter la présence dans nos colonnes (double page centrale préservée, interdiction de pub couvrant totalement la dernière page) et dans notre chiffre d’affaires (part de la publicité limitée à 5 % maximum, chiffre d’ailleurs rarement atteint puisque nous sommes aujourd’hui à moins de 2%)...

En revanche, nous publions depuis toujours des suppléments rédactionnels, c’est-à-dire que, dans le cadre d’un partenariat avec des organismes choisis, nous élaborons des dossiers de qualité auxquels contribuent, sous notre seule autorité, des journalistes et des spécialistes.

Notre liberté rédactionnelle est intacte puisque le partenaire renonce à tout droit de regard sur le contenu du supplément. La plupart des articles qui figurent dans ces 4-pages, confiés à des auteurs que nous choisissons – et que nous payons nous-mêmes - auraient pu trouver leur place dans le corps du journal.

Dans le cas du supplément Qatar, les auteurs sont des journalistes aux compétences reconnues, qui ont déjà écrit des articles fort critiques sur les Emirats du Golfe dans Le Monde diplomatique. Le supplément en question n’est pas irréprochable, et nous en avons discuté entre nous. Mais il ne comprend ni article flagorneur ni interview complaisante et il propose des analyses de longue haleine.

Arrêt sur images signale à ses lecteurs que ni Serge Halimi ni Anne-Cécile Robert n’ont répondu aux questions de son journaliste. Pour être tout à fait complet, le journaliste d’Arrêt sur images aurait peut-être dû signaler que, quand il a appelé Serge Halimi, celui-ci lui avait expliqué que l’équipe du Monde diplomatique était occupée par le bouclage du mensuel, lequel intervient aujourd’hui. Et qu’on lui répondrait plus tard. Quant à Anne-Cécile Robert, elle assurait ses cours.

Nous ne pouvions pas imaginer que ce genre de contrainte apparaîtrait aux yeux d’Arrêt sur image comme une offense.


Anne-Cécile Robert
Rédactrice, responsable des éditions internationales et du développement

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Pour information, nous avons contacté Serge Halimi mercredi 21 septembre au matin. Il nous a bien indiqué qu'ils étaient en période de bouclage mais que la responsable de ce supplément nous rappellerait dans la journée. Jeudi matin, n'ayant pas eu de réponses, nous avons rappelé le standard du Monde diplomatique qui nous a fait savoir qu'Anne-Cécile Robert "était en réunion". Après avoir expliqué que nous allions publier l'article, on nous a demandé de rappeler 10 minutes plus tard. Manque de chance, lors de ce deuxième coup de fil, Anne-Cécile Robert était "en rendez-vous" et devait nous rappeler. Ce qu'elle n'a pas fait. A aucun moment il ne nous a été indiqué qu'elle assurait des cours.


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