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la Cagouille Enchaînée
2 mai 2012

CONFLITS D’INTÉRÊTS, L’ULTIME BROUILLAGE DU QUINQUENNAT

Par ANTOINE VAUCHEZ Directeur de recherches au CNRS, Centre européen de sociologie et sciences politiques, université Paris­I­ Sorbonne

Il est mille et une clés de lecture du mandat présidentiel qui s’achève. Un décret du mardi 3 avril en offre in extremis une nouvelle : celle de l’accroissement de cette «zone grise de la démocratie» où le public et le privé risquent toujours de se confondre. La porosité sans précédent entre milieux politico-administratifs et barreau d’affaires en constitue une des formes les plus nettes. Le quinquennat s’était en effet ouvert par l’inscription au barreau de Paris du président du groupe parlementaire UMP, Jean-François Copé, de l’ex-Premier ministre, Dominique de Villepin, de l’ancien secrétaire général de l’Elysée, Frédéric Salat-Baroux, des anciens ministres de la Justice, Rachida Dati ou Dominique Perben, des porte-parole du parti majoritaire, Dominique Paillet et Frédéric Lefebvre, etc. Il a été ponctué par les soupçons et les affaires mettant en jeu le mélange des genres et les conflits d’intérêts que ces transferts ou cumuls d’activité auraient causés au cœur du travail parlementaire et gouvernemental. Il s’achève par un décret ouvrant plus largement encore les vannes bien au-delà de ce qui était possible jusqu’ici.

Désormais, tout parlementaire, assistant parlementaire ou ex-ministre titulaire de l’équivalent d’une maîtrise en droit et justifiant de «huit ans au moins d’exercice de responsabilités publiques les faisant directement participer à l’élaboration de la loi» peut prétendre embrasser sur le tard la profession d’avocat et ce sans passer examen (le certificat d’aptitude), ni s’astreindre à la formation à l’Ecole du barreau. Le texte adopté in extremis répond certes à une cause conjoncturelle : il s’agit pour le gouvernement de ménager une porte de sortie honorable à ses parlementaires à trois mois d’élections législatives encore hautement incertaines. Mais il vient surtout parachever cinq années déjà marquées par une circulation et une contiguïté inédites aux confins de la politique, de l’administration et des cabinets d’avocats d’affaires.

Autant le dire, avec un tel décret, ce sont tous les acteurs du processus législatif (assistants parlementaires, parlementaires) et réglementaire (ex-ministres, anciens hauts fonctionnaires) qui peuvent solliciter le passage, voire - dans le cas des parlementaires - le cumul, dans un cabinet d’avocats. On pourrait tout aussi bien se réjouir de cette forme de revival inattendu de la «République des avocats» ; mais il est peu en commun entre l’activité judiciaire et artisanale de l’apogée de la IIIe République et le «marchand de droit» agissant au sein d’une grande entreprise du droit (law firms) engagée pour le compte de ses clients dans une activité de lobbying auprès des acteurs politiques et administratifs, nationaux et européens. Sous cet angle, il y a toutes sortes de «bonnes raisons» pour un cabinet d’avocats d’affaires de se «payer» les services d’un politique qui n’a pourtant jamais exercé le métier d’avocat : cela va de la stratégie de communication du cabinet à l’acquisition d’un «carnet d’adresses» et d’un réseau de relations au cœur de l’administration et du gouvernement, en passant par le renforcement de la capacité de lobbying ou, last but not least, l’acquisition de nouveaux clients. Ce n’est pas sans faire penser au système états-unien des «revolving doors» qui place les lawyers au cœur du processus législatif par un aller-retour continu aux différents pôles des politiques publiques, des agences de régulation aux lobbyistes, des cabinets d’avocat aux groupes parlementaires. A ceci près que cette forme d’officialisation d’un pantouflage politique à la française s’opère sans précaution, ni garde-fous, sans même prévoir de dispositif sérieux de prévention et de sanction des conflits d’intérêts. Au risque d’accroître d’autant cette «zone grise de la démocratie» qui contribue à faire planer le soupçon d’un mélange des genres sur toute l’activité législative et réglementaire.

On est bien loin du thème de la «moralisation de la vie publique» brièvement promu au cœur de l’agenda politique au lendemain de l’affaire Woerth : passé le moment médiatique, le projet de loi gouvernemental sur la «prévention du conflit d’intérêts» - fort modeste au demeurant - avait d’ailleurs été très vite archivé, et avec lui le souci d’assurer une forme de régulation des zones d’ombre de notre démocratie. Le décret du 3 avril en apporte une ultime confirmation.

Le 6 avril à 0h00

LIBERATION.fr

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