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la Cagouille Enchaînée
31 mai 2012

GRÈCE : LE GRAND MALENTENDU

Une majorité de Grecs considère que la zone euro (l’Allemagne au premier chef) et le Fonds monétaire international (FMI) leur en demandent trop : ils l’ont montré le 6 mai en donnant une majorité des voix exprimées à des partis opposés au plan d’austérité (le « memorandum of undestanding » II ou MOU II - il est ici en anglais) signé par l’ancien premier ministre Lucas Papademos, en février dernier. Même s’il faut noter qu’il y a eu 30 % d’abstention et que 20 % des voix sont allées à des partis n’ayant pas dépassé la barre des 3 % nécessaires pour être représentés au Parlement. La gauche radicale européenne (et notamment française) est sur la même longueur d’onde, celle-ci dénonçant les conditions « injustes » imposées à la Grèce.

Trop brutalement sans doute, la directrice générale du FMI, Christine Lagarde, a mis les pieds dans le plat ce week-end, dans un entretien au quotidien britannique The Guardian, en s’étonnant de ce sentiment d’injustice. Car, après tout, la Grèce bénéficie d’une solidarité européenne et internationale sans précédent, ce qui ne l’empêche pas de rechigner à remplir ses obligations. Lagarde a, en particulier, brocardé la fraude fiscale grecque endémique, un sport national, parlant de « tous ces gens qui tentent en permanence d'échapper à l'impôt ». Pour elle, la Grèce n’est pas particulièrement à plaindre : « Je pense davantage à ces enfants d'une école d'un petit village du Niger qui n'ont que deux heures de cours par jour, qui partagent une chaise pour trois et qui cherchent passionnément à avoir accès à l'éducation. Je pense à eux en permanence, parce que je pense qu'ils ont davantage besoin d'aide que la population d'Athènes. » Pour Lagarde, « les Grecs devraient commencer par s'entraider mutuellement », et ce, en « payant tous leurs impôts ».

Au-delà de la violence du propos, plutôt maladroit à trois semaines des nouvelles élections législatives grecques, la directrice générale du FMI appuie là où cela fait mal. Certes, les investisseurs ont commis une erreur en prêtant sans compter depuis vingt ans à la Grèce. Mais, ils l’ont payé au prix fort en ayant dû consentir un abandon de plus de 70 % de leurs créances (dont une bonne partie concerne les investisseurs grecs eux-mêmes, banques, assureurs, caisses de retraite), soit 105 milliards d’euros. Il s’agit là de la plus grande restructuration de dettes de l’histoire du capitalisme (88 milliards de dollars pour l’Argentine « seulement »).

Par solidarité bien comprise, la chute de la Grèce risquant d’aboutir à un effondrement de la monnaie unique, la zone euro et le FMI ont prêté à Athènes 110 milliards d’euros avant d’allonger 130 milliards supplémentaires (dont 50 milliards destinés à recapitaliser les banques grecques afin d’éviter leur effondrement), soit 240 milliards en tout (à terme, l’ensemble de cette somme n’ayant pas encore été versé). À cela s’ajoutent les (au moins) 50 milliards d’obligations d’État grecques rachetées sur le marché secondaire (celui de la revente) par la Banque centrale européenne. Soit 290 milliards d’euros, environ 2,5 fois le montant annuel du budget communautaire pour un pays de 11 millions d’habitants pesant à peine 2 % du PIB de l’UE. Le FMI, qui a prêté à lui seul un tiers de cette somme, n’a jamais versé autant d’argent à un seul pays dans son histoire… Ces diverses opérations ont abouti à une « communautarisation » de la dette publique grecque, les deux tiers étant désormais possédés par la zone euro (Fonds européen de stabilité financière, États, BCE et Banques centrales) et le FMI.

Rappelons aussi que cette solidarité ne date pas de la crise : depuis son adhésion à l’Union, en 1981, et surtout depuis la création des fonds structurels (aides régionales) en 1988, la Grèce a reçu chaque année entre 3 et 4 % de son PIB en aides européennes. Sans compter que depuis 2002, date à laquelle elle a rejoint la zone euro, elle a pu emprunter sur les marchés à des taux allemands. Qu’a-t-elle fait de cet afflux sans précédent d’argent ? Ce qui est sûr, c’est qu’il n’a pas servi à développer le pays, mais plutôt à entretenir une clientèle politique et à soutenir la consommation (la Grèce était l’un des principaux marchés européens pour les voitures de luxe allemandes)… On comprend donc l’agacement grandissant des Européens et du FMI face à ce qu’ils perçoivent comme de l’ingratitude de la part d’un pays qui a échappé de peu à une banqueroute qui aurait eu des effets infiniment plus dramatiques que la cure de rigueur sévère qu’il subit actuellement.

Le plan d’ajustement, faut-il le préciser, n’est pas destiné à « punir » les Grecs (ou les Irlandais ou les Portugais), mais à remettre le pays sur pieds. Certes, on peut discuter du rythme de l’effort de rééquilibrage des comptes publics demandé aux Grecs (qui implique des baisses de salaire, des licenciements dans une fonction publique hypertrophiée et inefficace, des coupes dans les dépenses d’investissement et des hausses d’impôts). Mais l’essentiel est ailleurs : les quelques 50 pages du MOU liste surtout toutes les réformes que la Grèce doit accomplir pour bâtir un État. Sa lecture, en creux, est édifiante : tous les secteurs de l’administration, du système de santé (de l’informatisation des hôpitaux aux coûts des médicaments en passant par le système de retraite), de la fiscalité, du droit, des appels d’offres publics sont passés en revue et montre que la Grèce dispose d’un État moins efficace que celui de la Turquie.

Le problème est que la Grèce ne fait pas ses devoirs, à la fois par incompétence d’une grande partie du personnel politique et de l’administration, mais aussi par résistance de ceux qui ont tout à perdre si ces réformes voient le jour. Le premier MOU du printemps 2010 n’a jamais été appliqué, comme l’a reconnu feu le gouvernement Papandréou, et le second est en panne depuis les élections du 6 mai dernier.

Des exemples ? Votée il y a un an, la loi ouvrant plus de 150 professions à la concurrence n’est toujours pas appliquée, faute de volonté administrative. Créer une entreprise est toujours aussi difficile. Le cadastre n’est toujours pas achevé (pourtant l’Union le demande depuis 20 ans et a même payé pour aider les Grecs à en faire un). La lutte contre la fraude fiscale a fait des progrès, mais elle marque le pas : il suffit de comparer avec ce qui se passe en Italie où 20 milliards d’euros d’impôts impayés ont été récupérés en quatre mois pour comprendre la faillite grecque. Ainsi, selon une lettre « officieuse » de Lucas Papademos, le paiement des impôts reste un point d'achoppement et les Grecs préfèrent désormais ne pas s’en acquitter en attendant de voir si le pays sort ou non de l’euro... Et lorsque le fisc fait son travail, la justice, corrompue, lente et inefficace, ne fait pas le sien, ce qui permet aux fraudeurs d’échapper à l’impôt. Autant dire que l’économie noire (entre 30 et 40 % du PIB) demeure toujours aussi florissante. Pour donner une idée de ce qui est en jeu, la fraude fiscale a été estimée, pour 2009, entre 15 et 20 milliards d’euros, soit trois quarts du déficit budgétaire de l’époque.

De même, si les fonds structurels ne se déversent toujours pas dans l’économie grecque (15 milliards d’euros sur deux ans), c’est faute de projets, l’administration, encore une fois, étant incapable d’en fournir. Et ne parlons même pas des privatisations (le secteur public hypertrophié est source de profit et de puissance pour la classe politique). On pourrait multiplier à l’infini les exemples de ce refus de changement. Et que dire de la fuite massive des capitaux qui montre, s’il en était besoin, la confiance qu’ont les Grecs à l’égard de leur pays (la plupart des élus ont des comptes à l’étranger et ne s’en cachent pas).

Le gouvernement grec a certes augmenté les impôts et baissé les salaires publics (qui, il est vrai, ont augmenté de plus de 80 % depuis 1995, lire ici) et les retraites, comme le demandaient l’Union et le FMI. Mais cette application totalement déséquilibrée du MOU est un vrai choix politique : c’était le plus facile et surtout cela ne remettait pas en cause l’essentiel des privilèges de la classe dirigeante (ni ceux de sa clientèle, notamment celle embauchée dans la fonction publique qui échappe pour l’instant au licenciement). Confronté à une fuite massive de capitaux, il est d’ailleurs tout à fait étonnant que le gouvernement n’ait pas demandé le rétablissement du contrôle des changes de la circulation des capitaux, ce qui aurait été possible selon les traités européens. De même, Athènes n’a jamais voulu s’engager dans une réforme de la Constitution qui aurait pu permettre de taxer l’Église orthodoxe (seules ses activités commerciales sont désormais imposées) ou de limiter les privilèges des armateurs. En réalité, une modification de la Constitution s’étalant sur deux législatures, c’est d’une constituante dont le pays aurait besoin afin de nettoyer en profondeur l’État. Mais de cela, il n’est toujours pas question.

Bref, il y a en Grèce des gens qui souffrent, c’est indéniable : les baisses de salaires et de retraites, la récession (la Grèce a perdu 30 % de sa richesse nationale, certes acquise à crédit, mais cela n’en est pas moins douloureux), sont une triste réalité, mais il s’agit là d’un choix national: on préfère garder un système clientéliste (les partis qui veulent y mettre fin n’ont pas franchi la barre des 3 %) et on vote pour des partis qui promettent que l’on peut toucher l’aide internationale sans faire d’efforts. D’autres pays sont soumis à des cures de rigueur tout aussi dures (Portugal, Irlande, Espagne, Italie) et, pourtant on ne les entend guère. La différence ? Outre que la Grèce a toujours eu un penchant pour la victimisation, elle pense aussi avoir droit à un régime de faveur parce qu’elle est le berceau de la civilisation occidentale. Comme si Rome invoquait Cicéron ou Auguste lorsqu’on demande à l’Italie de réformer son marché du travail ou de lutter contre la mafia. J’exagère ? Récemment, des philosophes français ont osé prétendre que c’est nous qui avions une dette à l’égard de la Grèce, car elle nous avait donné Platon et Socrate (exécuté par les Athéniens au passage)… À cela il faut ajouter un refus du réel, une partie des Grecs ne voulant pas voir qu’ils sont responsables de l’état lamentable de leur pays.

Alors que faire ? L’Europe n’a d’autre choix que de continuer à aider la Grèce qui peut faire couler à elle seule la monnaie unique. Mais il faut rappeler aux Grecs que le plan d’ajustement a été accepté par le gouvernement légitime de la Grèce et ratifié par les dix-sept parlements nationaux de la zone euro (y compris la Vouli), ce qui devrait empêcher de parler d’un « diktat allemand ». Et surtout, une remise en cause unilatérale de ce plan aurait comme conséquence d’ébrécher un peu plus la confiance nécessaire à la création d’eurobonds (obligations européennes) : non seulement la Grèce a déjà menti à deux reprises sur l’état réel de ses comptes publics (en 2005, elle a reconnu avoir divisé par deux son déficit pour la période 2002-2005 et, bien sûr, en 2009), mais elle montrerait qu’on ne peut toujours pas lui faire confiance, une nouvelle majorité ne se sentant pas lié par les engagements conclus au nom du pays… Autant dire qu’une victoire de la gauche radicale enterrerait pour longtemps le saut fédéral pourtant nécessaire à la survie de l’euro.

Il est évident que les Européens ne reverront sans doute jamais la couleur de l’argent qu’ils ont prêté à la Grèce. Mais cet abandon inéluctable de créances ne doit pas se faire à n’importe quelle condition : la Grèce, qu’elle le veuille ou non, doit changer et se réformer en profondeur. Renoncer à nos prêts sans condition comme certaines belles âmes le proposent, alors qu’il s’agit d’un effort qui pèse sur l’ensemble des Européens, serait l’assurance que nous devrions remettre au pot grec dans vingt ans. Le tonneau des Danaïdes, voilà un héritage de la Grèce antique dont on se passerait bien.

29 mai 2012

BRUXELLES.BLOGS.LIBERATION.fr 

 

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