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la Cagouille Enchaînée
18 juin 2012

ZONE EURO : CE QUE VEUT PARIS

Hier soir [[15 juin]], l’Élysée et la Chancellerie ont eu un premier échange sur le document de onze pages intitulé « Pacte pour la croissance en Europe » que la France a transmis, jeudi, à Berlin ainsi qu’au président du Conseil européen, Herman Van Rompuy. Ce texte permet d’y voir un peu plus clair sur ce que souhaite le nouveau chef de l’État français en matière européenne. Il révèle une vraie différence d’approche entre les deux rives du Rhin : pour l’Allemagne, l’union politique, ou la fédéralisation, reste LE préalable à toute solidarité financière, alors que pour la France, elle doit se construire pas à pas au cours des dix prochaines années en suivant une « feuille de route ».

Voici un décryptage de ce Pacte qui viendra nourrir le document que préparent, par ailleurs, les quatre présidents des institutions communautaires (Commission, Conseil européen, Eurogroupe et Banque centrale européenne) en vue du sommet des 28 et 29 juin, document détaillant les mesures à prendre pour approfondir l’union économique et monétaire.

 

  • Pourquoi un Pacte ?

Dans l’introduction, l’Élysée estime que la crise de la zone euro « menace la cohésion de chacune de nos sociétés et mine l’Europe en tant que projet politique » : « face à cette situation », « les chefs d’État et de gouvernement ont une responsabilité historique ». Pour Paris, ils doivent non seulement sauver la zone euro, mais « réorienter le cours de la construction européenne » afin de « retrouver la confiance des peuples et assurer leur adhésion à son projet ». C’est tout l’objet du Pacte. Il est divisé en quatre parties : « relancer la croissance, l’investissement et l’emploi », « produire en Europe », « assurer la stabilité financière » et enfin « mettre en place un cadre pour renforcer et compléter l’Union économique et monétaire ».

  • Pour la France, l’union politique n’est pas un préalable à la solidarité financière.

Le fait de placer l’approfondissement de l’union monétaire à la fin du Pacte montre l’ordre des préoccupations françaises : la relance de la croissance d’abord, l’approfondissement de l’Union ensuite. « Si on veut d’abord faire l’union politique, on va dans le mur », affirme un conseiller du gouvernement. Reste qu’il ne s’agit pas d’une fin de non-recevoir à la demande allemande d’une union politique. Cette fois, contrairement à ce qui se passe depuis vingt ans, la France répond présente, ce qui est une excellente nouvelle pour l’avenir de l’Union. Il est cependant frappant que les mots d’union politique ou de fédération ne soient jamais évoqués : il s’agit uniquement de « renforcer » l’union économique et monétaire, ce qui est pour le moins vague. Il ne faut manifestement pas effrayer les « nonistes » du PS.

Pour Paris, l’union politique doit se construire pas à pas et non d’un coup. Elle propose donc l’élaboration d’une « feuille de route pour les dix prochaines années » qui « devrait permettre d’examiner les conditions d’intégration, notamment budgétaire, et le cadre institutionnel et politique permettant de parvenir à ces objectifs, en assurant la nature démocratique des décisions et l’efficacité des procédures ». On n’en saura guère plus, le texte de l’Élysée demeurant particulièrement vague sur les réformes institutionnelles qu’il faudrait accomplir pour renforcer l’Union monétaire. Pas un mot non plus sur l'augmentation du budget européen, même s'il plaide pour une "mutualisation" volontaire "des programmes publics" (recherche, infrastructure ou armement).

On apprend juste que Paris admet que « l’émission d’emprunts communs (euro-obligations) » passera par « une intégration correspondante des cadres budgétaires, garante de la stabilité ». La France souhaite aussi la mise en place d’un « cadre de régulation et de supervision du système financier » au niveau européen, une harmonisation de la fiscalité des entreprises et la mise en place d’un « socle salarial et social » minimal. « À chaque pas vers la solidarité financière, il faudra s’entendre sur le type de mécanisme institutionnel qu’il faudra créer, sur le contrôle démocratique, sur l’harmonisation de telle ou telle politique », explique-t-on à l’Élysée.

François Hollande ne rompt pas, hélas, avec l’intergouvernementalisme de son prédécesseur, ce qui montre qu’il s’agit d’un travers français et non de droite. Il souhaite ainsi que cette « feuille de route » soit élaborée par le président du Conseil européen en concertation avec les États d’ici à la fin de l’année, ce qui écarte la Commission et le Parlement européen : or, on ne peut pas à la fois réclamer davantage de démocratie et d’intégration et écarter les deux institutions qui en sont les garants… De même, pour Paris, le gouvernement économique doit rester le Conseil européen de la zone euro et l’Eurogroupe (dont le rôle du président doit être « réexaminé »), deux institutions qui ne sont contrôlées par personne (ou plutôt, chaque parlement national contrôle 1/17ème de ces organes…).

  • L’Élysée veut donc une solidarité financière immédiate…

Si les euro-obligations sont renvoyées à plus tard, Paris souhaite organiser « à brève échéance » « l’émission commune de titres dette à court terme au sein de la zone euro (eurobills) » afin de redonner de l’air aux pays confrontés à des problèmes de liquidité. Cela donnerait un « signal » aux marchés « d’un engagement résolu à préserver l’intégrité de la zone euro ». Hollande se rallie aussi à l’idée des cinq « sages économiques » allemands de créer un « fonds européen commun d’amortissement d’une partie de la dette sur longue période ». Cela tombe bien, le Parlement européen a voté, le 13 juin, un amendement en ce sens au projet de règlement accroissant la surveillance budgétaire (« two pack ») par une majorité de 501 voix contre 138. L’idée est de cantonner dans un fonds toutes les dettes nationales qui dépassent le plafond de 60 % du PIB, ce qui permettrait de les financer à un taux d’intérêt modéré : les États s’engageraient à rembourser cette vieille dette dans un délai de 25 ans y compris en y affectant des recettes fiscales. Détail intéressant : la délégation socialiste française du Parlement européen y est opposée, car elle juge les contraintes trop sévères… Pour le reste de leur dette, les États continueraient à se financer à leur risque et péril sur les marchés.

  • …ainsi qu’une union bancaire

L’Élysée veut que le Mécanisme européen de stabilité (MES) puisse directement recapitaliser les banques, ce qui éviterait que leur sauvetage alourdisse la dette des États concernés (aujourd’hui le MES prête seulement aux pays), et apporter son appui « aux systèmes nationaux de garantie des dépôts ». Et pour « couper court à toute incertitude sur la capacité d’intervention » du MES, Paris souhaite qu’il puisse se refinancer, comme une banque commerciale, directement auprès de la Banque centrale européenne (BCE), mais uniquement « lorsqu’il s’agit de recapitalisation des banques ». Le MES aurait, en contrepartie, le droit d’intervenir directement dans la restructuration du système bancaire ainsi aidé.

Paris estime nécessaire que la supervision des banques s’exerce au niveau européen : « c’est la condition nécessaire pour que les États soient financièrement solidaires dans les systèmes de protection des épargnants et la gestion des crises bancaires ». Mais elle n’est pas favorable à ce que ce contrôle soit confié à la BCE : elle souhaite que ce soit l’autorité bancaire européenne (EBA), dont les pouvoirs seraient renforcés, qui s’en charge en pilotant les superviseurs nationaux. Il s’agit là d’un désaccord avec l’Allemagne : si elle s’est ralliée à cette idée, elle veut que cette surveillance prudentielle soit exercée par la BCE qui sera bien plus indépendante que les superviseurs nationaux qu’elle soupçonne d’être inféodés aux banques commerciales comme l’ont montré les « stress test » truqués de l’Espagne et de l’Irlande (et sans doute de la France…).

Pour l’Élysée, il faudrait aussi « mettre en place un système européen de garantie des dépôts » ce qui donnerait « un signal décisif pour la stabilité de la zone euro et limiterait très fortement les risques de panique bancaire ». Enfin, à terme, un « fonds de résolution bancaire » alimenté par une taxe sur les banques devrait être créé, fonds qui aurait accès au financement de la BCE en cas de besoin. Il prendrait donc le relais du MES en matière de restructuration bancaire.

  • Le retour de la croissance passera aussi par des réformes structurelles

Enfin, le Pacte reprend les éléments censés relancer la croissance qui ont déjà été actés : project bonds, augmentation du capital de la Banque européenne d’investissement, utilisation immédiate des 55 milliards d’euros de fonds structurels non utilisés, création d’une taxe sur les transactions financières (dont une partie serait affectée soit au budget européen soit à des projets de soutien à la croissance). Sans surprise, il propose aussi de protéger le marché européen de la concurrence déloyale des pays tiers.

Le plus intéressant est expédié en quelques lignes : l’Élysée reconnaît qu’il faut mener des réformes structurelles afin d’améliorer la compétitivité des économies européennes. En particulier, « les coûts de production (doivent évoluer) en accord avec la productivité ». Voilà qui aurait mérité de plus longs développements puisque c’est précisément ce qui inquiète l’Allemagne qui craint que ses partenaires ne se reposent sous son parapluie financier pour ne pas faire les efforts nécessaires pour remettre leur économie sur les rails…

Prochain article : ce que veut l’Allemagne.

Dessin: Kroll

16 juin 2012

COULISSES DE BRUXELLES

 

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