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la Cagouille Enchaînée
21 novembre 2012

Une question de vit ou de mœurs

Dans un essai de 1906 qui reparaît aujourd'hui, le professeur Auguste Forel, chantre suisse des idées nouvelles, s'interroge sur le progrès, le sexe et le bonheur. Prémoderne.

«Le Déjeuner sur l'herbe», Edouard Manet, 1863. - Wikimedia Commons

«La question sexuelle est d’une importance fondamentale pour l’humanité, dont le bonheur et le bien-être à venir dépendent en très grande partie de cet important problème», écrivait en 1906 Auguste Forel, professeur à l’université de Zürich. A l’époque, ce psychiatre suisse publie la Question sexuelle exposée aux adultes cultivés, en allemand puis très vite traduit en français et en anglais. Il donne son avis, de manière crue et sans fausse pudeur, sur la sexualité au sens large : la masturbation, l’orgasme, la vantardise, le clitoris, la prostitution, le couple, etc.

L’ouvrage vient d’être republié par les éditions Autrement. Auguste Forel défend avec vivacité l’amour et même ce qu'il appelle «l’amour sexuel». Sur certains points, ses écrits, diffusés dans les milieux bourgeois, sont symptomatiques d’une époque. Sur d’autres, il fait preuve d’une surprenante modernité.

«Forel rêvait d’une grande réforme sexuelle des sociétés occidentales», note l’historien Christophe Granger dans la préface. Avec une idée simple : l’ignorance étant dangereuse, «parler sexe, décrire les mécanismes de la volupté, se montrer terre à terre, évoquer le vagin et l’éjaculation, lever, au besoin, les peurs de l’enfantement : voilà la clé de tout», raconte-t-il.

Né en 1848 et mort en 1931, Auguste Forel a été membre de l’Internationale anti-alcoolique, favorable à l’esperanto, l’euthanasie, le socialisme et le pacifisme. Célèbre chez les Helvètes, son portrait s’est même retrouvé sur les billets de 1 000 francs suisses dans les années 70. Ce fut un homme de son siècle, attrapant à pleines mains les idées nouvelles, influencé par la question du «progrès»

Pour le clitoris, contre la fellation

Mais qui dit «progrès» dit aussi recherche d’un homme nouveau, débarrassé de ses oripeaux de perversité. Certes, il est contre les mariages imposés et arrangés, pour l’éducation des jeunes filles, pour qu’elles ne soit pas abandonnées sans expérience à des maris inconnus. Comme le médecin Jules Guyot dans son Bréviaire de l’amour expérimental, il estime que les femmes ont le droit au plaisir et qu’il est normal qu’elles aient un «appétit sexuel», même si, bémol, ce n’est pas dans les mêmes proportions que les hommes.

Mais il ne prône pas non plus une liberté totale. Il est farouchement contre la prostitution et ce qu’il appelle « l’esprit pornographique». Son discours est finalement proche de celui, plus contemporain, des anti-films pour adultes (même s’il parle davantage de lieux de débauches que de cinéma, évidemment, nous sommes en 1906). «Le jouisseur s’imagine y voir le type normal de la femme, et dans son inconscience il le généralise», regrette-t-il. «Du haut de sa présomption masculine, il se prend alors à mépriser la femme et ne s’aperçoit pas que c’est lui-même qu’il méprise, car, en somme, du point de vue sexuel, la femme dépendante d’aujourd’hui se plie à l’homme.»

Auguste Forel est également mitigé sur la question de l’onanisme. Si la «masturbation compensatrice», une fois de temps en temps, n’est pas «une anomalie de l’appétit», il estime tout de même que «les hommes dont la volonté est faible s’y adonnent facilement». Chez la femme, il souligne «qu’il faut une excitabilité sexuelle pathologique pour provoquer chez [elle] spontanément des rêves voluptueux et la masturbation». Il se prononce également contre la fellation et la sodomie, des actes pas utiles au plaisir de la femme, donc égoïstes. 

Le docteur a surtout un grand regret, «le programme d’une pédagogie sexuelle de l’avenir est encore loin d’être réalisé».
Selon lui, «il semble impossible de mettre en œuvre une éducation sexuelle rationnelle tant que l’Etat et le peuple ne seront pas arrivés à voir clair dans la question et à se débarrasser de leurs préjugés».

Un siècle plus tard, des préjugés, il en reste, et l’éducation sexuelle reste un vaste débat. Mais il est intéressant de voir aussi à quel point certaines des analyses d'Auguste Forel, énoncées pour lutter contre les clichés de son époque, sont aujourd’hui elles-mêmes considérées comme des clichés.

«La queston sexuelle exposée aux adultes cultivés», Dr Auguste
Forel, éditions Autrement, 15 euros, 2012. 

LIBERATION.fr

 

Lire également :

- Virginie Despentes répond à Lionel Jospin et aux anti-mariage pour tous, publié sur le tetu.com

 

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