Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
la Cagouille Enchaînée
1 avril 2012

PRÉSIDENTIELLE : LA TRAQUE DES MENSONGES POLITIQUES

Pratique journalistique venue des États-Unis, le « fact-checking » ou vérification des faits s'est immiscé dans la campagne, permettant aux médias de mesurer la crédibilité des candidats

 Photo d'illustration (Epsilon/MAXPPP Dmitri Korotayev)

Au micro d'Europe 1, vendredi, Nicolas Sarkozy a affirmé : « Il y a un seul pays occidental, un seul, qui depuis le deuxième trimestre 2009 n'a pas connu la récession, c'est la France. » Presque un joli poisson d'avril. « C'est faux » tranchait dans la même journée le blog des Décodeurs du « Monde ». Tableaux de l'OCDE à l'appui, ces derniers démontrent que 11 pays occidentaux n'ont pas enregistré de récession depuis 2009.

Petites phrases, promesses, données chiffrées : le site jauge la crédibilité des candidats à la présidentielle pendant leurs discours, lors de leurs interventions à la radio ou la télé, puis attribuent des appréciations: « faux », « assez faux », « assez vrai », « vrai ». Un travail initié il y a trois ans.

Cette pratique importée des États-Unis, et appelée « fact-checking » (littéralement, « vérification des déclarations publiques »), a fait des petits durant cette campagne électorale. « Le Parisien » a son Bureau de vérification de la petite phrase, Rue 89 son Contrôle technique, « Le Journal du dimanche » son Détecteur de mensonges. « Le Nouvel Observateur » attribue des Pinocchios aux candidats qui répètent tous à longueur de discours qu'il faut dire la vérité aux Français.

La parole se désacralise

Le journal « Libération » est le premier média français à s'être intéressé à ce genre nouveau avec sa rubrique Désintox en 2007. « À force d'entendre tout et n'importe quoi sur le service minimum à l'époque, j'ai eu envie de créer un espace où on exposerait ces contre-vérités. Ce système de désinformation est une maladie chronique du débat public en France. Chacun caricature les positions adverses et la démocratie en pâtit », observe Cédric Mathiot. À l'origine de cette rubrique, il livre dans « Petit précis des bobards de campagne » (1), sorti début mars, les plus flagrants délits de mensonge des politiques.

Aux États-Unis, cette pratique journalistique existe depuis les années 1960. Le modèle en la matière est le « Truth-o-meter » (« véritomètre ») de Politifact.com, récompensé en 2009 par le prix Pulitzer. Cet outil a mesuré pendant la campagne présidentielle de 2008 la crédibilité des candidats sur une balance oscillant du rouge au vert.

« En France, nous avons un rapport particulier à la vérité. Il y a une certaine tolérance aux mensonges, poursuit Cédric Mathiot. On s'attache plus aux personnes, on sacralise leur parole. C'est toute la différence par rapport aux États-Unis, où un personnage public qui ment est condamnable. »

Cette donne serait, semble-t-il, en train de changer. « Il y a un doute grandissant vis-à-vis des politiques. On voit émerger une nouvelle demande en termes de crédibilité. Les citoyens veulent plus de transparence », estime Sylvain Lapoix. Journaliste politique à Owni.fr, il a monté avec son équipe, en partenariat avec iTélé, le Véritomètre, directement inspiré du « Truth-o-meter » de Politifact.com.

Les partis ripostent aussi

Cinq journalistes travaillent sur cet outil pour démêler le vrai du faux des déclarations des six candidats en tête dans les sondages. Soit près de 1 500 données vérifiées depuis le début de la campagne, certaines demandant parfois plusieurs heures de recherches pour en trouver la source. Les résultats permettent d'établir un taux en pourcentage de crédibilité des prétendants au poste de président de la République.

« On ne préjuge pas leur intention, mais cela donne un ordre de grandeur sur la véracité des propos qu'ils tiennent », précise Sylvain Lapoix. Toutes les données (Insee, Eurostat, rapports des ministères, etc.) qui ont servi à vérifier les déclarations sont accessibles aux internautes, qui peuvent, eux aussi, contribuer au Véritomètre.

Le débat de la campagne, très axé sur l'économie, favorise cette pratique. Le président sortant, avec un bilan, donc des données chiffrées, y aide. À travers ces outils, la mesure de la performance, tendance elle aussi très américaine, se fait quasiment en temps réel. Ces détecteurs de mensonges influencent-ils le discours des candidats ? « Le but est d'abord d'informer les citoyens. Mais les corrections que nous apportons après une émission en direct à grande audience n'ont pas vraiment d'impact », estime Cédric Mathiot.

« Le discours des politiques est en train de changer. Ils font plus attention désormais. Ceux qui ont des mauvaises notes dans le Véritomètre s'énervent », remarque Sylvain Lapoix. Suite aux erreurs pointées par les différents vérificateurs de données, Jean-Luc Mélenchon (Front de gauche) est par exemple revenu sur le nombre de fonctionnaires précaires à titulariser, Nicolas Sarkozy (UMP) sur les chiffres de la délinquance. Des méthodes qui donnent à Marine Le Pen l'impression d'être « dans un tribunal ».

Face à ces nouvelles pratiques, les partis ont dégainé leurs armes en proposant sur leur site leur propre « fact-checking » avec des sources « indépendantes ». Les Jeunes Populaires ont leur observatoire des mensonges de la gauche, qui, elle, illustre avec des infographies le bilan de Nicolas Sarkozy. Avec un biais politique forcément. De quoi compliquer la donne si désormais les journalistes doivent aussi vérifier les vérifications faites entre camps adverses.

(1) « Petit précis des bobards de campagne », de Cédric Mathiot, éd. Presses de la Cité, 201 p., 19 €.

06h00 | Mise à jour : 08h03
Par Laurie Bosdecher

SUDOUEST.fr

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité