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la Cagouille Enchaînée
28 juin 2012

EVASION FISCALE : LES SOUPÇONS SE RENFORCENT AUTOUR D’UBS

La banque UBS a-t-elle organisé un système d’évasion fiscale entre sa filiale française et sa maison-mère suisse ? L’enquête s’accélère.

La banque UBS a-t-elle organisé un système d’évasion fiscale entre sa filiale française et sa maison-mère suisse ? L’enquête judiciaire semble s’accélérer, avec plusieurs gardes à vue. Et le tribunal des prud’hommes vient de donner raison à un cadre licencié, dans un jugement sévère dénonçant une « recherche de l’opacité ».

Comme l’avait raconté Rue89 en mars 2011, UBS est suspecté d’avoir mis en place une double comptabilité, destinée à masquer certains mouvements de capitaux entre la France et la Suisse, et d’avoir permis à ses commerciaux suisses de démarcher des clients sur le territoire français. En totale violation de la loi.

Une cliente nommée Liliane Bettencourt

Le dossier est d’autant plus sensible qu’UBS comptait dans sa clientèle de nombreux VIP, dont une certaine Liliane Bettencourt. L’enquête sur l’éventuel financement illicite de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007 a justement fait apparaître d’étranges mouvements sur les comptes suisses de la milliardaire.

L’affaire n’a d’abord intéressé que les prud’hommes et l’inspection du travail, saisis par des cadres licenciés pour avoir, selon eux, été trop curieux. Elle a été relancée au printemps avec la parution de « Ces 600 milliards qui manquent à la France », une enquête très fouillée d’Antoine Peillon, journaliste à La Croix.

La justice, elle, a décidé d’accélérer. Selon nos informations, au moins un ancien cadre et trois salariés actuels d’UBS France ont été placés en garde à vue et entendus par la douane cette semaine, à Strasbourg et à Lyon. L’enquête préliminaire avait été ouverte en 2010, et un juge d’instruction avait été nommé ce printemps.

Le dossier intéresse aussi de près les sénateurs de la commission d’enquête sur l’évasion fiscale. Ceux-ci avaient attiré les caméras la semaine dernière en convoquant Yannick Noah et Guy Forget. Plus discrètement, selon nos informations, le rapporteur de la commission, le communiste Eric Bocquet, a entendu trois anciens cadres d’UBS France.

Double comptabilité

Mais c’est le tribunal des prud’hommes de Paris qui a été le premier, le 19 juin, à dénoncer ouvertement des pratiques de dissimulation pouvant confirmer les soupçons. Il avait été saisi par un ancien contrôleur interne d’UBS France, licencié pour faute grave. Son jugement, que Rue89 s’est procuré, est sévère pour la banque.

C’est la comptabilité d’UBS qui a valu à ce contrôleur interne d’être licencié. Sa faute ? S’être montré trop curieux sur ce qu’on appelait, à l’intérieur de la banque, le « carnet du lait ». Une référence au carnet utilisé par les producteurs de lait suisses pour tenir leurs comptes.

En juin 2007, ce cadre se lance dans un audit du contrôle de gestion d’UBS France. Il s’étonne vite du montant des commissions reversées aux commerciaux, et calculées à partir de leur chiffres d’affaires : les chiffres ne collent pas.

Selon lui, une double comptabilité a été mise en place pour calculer les commissions. Une « affectation directe », correspondant au chiffre d’affaires enregistré officiellement par UBS France, et « un système de compensation », prenant en compte les sommes transférées en Suisse et devant rester masquées – le fameux « carnet du lait ».

Le contrôleur interne rédige donc un rapport détaillant ses découvertes. Le jugement du tribunal des prud’hommes explique :

« [Il] ne manquait pas de s’étonner, à juste titre, de cette double pratique et des motifs du recours à un système de compensation.

[...] Dans la version finalement diffusée du rapport d’audit, n’apparaît plus de façon précise la phrase les pourcentages de fonds placés dévolus respectivement à l’affectation directe et au système de compensation. [Il] indique que cette suppression avait été exigée par sa hiérarchie [...]. »

Consigne : « être imprévisible »

L’insistance du contrôleur de gestion conduira à son licenciement pour faute grave, en novembre 2009. Dans un courrier cité dans le jugement, la direction d’UBS l’accuse d’arrières-pensées financières :

« Vos accusations injustifiées et réitérées ne sont pas tolérables de la part d’un collaborateur de votre niveau de responsabilités. Il est clairement établi aujourd’hui qu’elles s’inscrivent dans le cadre d’une stratégie visant à faire pression sur la banque pour obtenir la satisfaction de vos revendications. »

Sauf que, comme le note le tribunal des prud’hommes, de nombreux documents internes semblent confirmer ses accusations. Comme des échanges d’e-mails, évoquant les activités de commerciaux suisses en France, en théorie interdites.

Ou comme les conseils de prudence prodigués lors d’une formation en Suisse, que Rue89 avait déjà évoqués. Les commerciaux y avaient appris comment protéger les « données sensibles » et déjouer la surveillance, en se montrant « aussi imprévisible que possible » : « Changez de restaurants, de compagnies de taxi, de lieux de rendez-vous avec les clients... »

Surtout, ce contrôleur interne n’était pas le seul à lancer ces accusations. Le directeur de l’agence d’UBS à Cannes a renoncé à poursuivre la banque, après une transaction financière. Son collègue de Strasbourg, lui, l’a emporté aux prud’hommes. Et selon nos informations, au moins trois autres dossiers d’anciens salariés sont en cours d’examen.

Ce jugement est pourtant le premier à souligner des « pratiques peu transparentes » et une « recherche de l’opacité » chez UBS. Et à suggérer ouvertement, au-delà d’un licenciement injustifié, l’existence d’un système d’évasion fiscale. Il conclut :

« L’ensemble des éléments qui précèdent suffit à considérer que la SA UBS France ne démontre pas que les accusations réitérées dans divers écrits par M. [X] à l’égard de son employeur d’avoir organisé “un système d’aide à l’évasion fiscale et à la fraude fiscale internationale” seraient infondées. »

Lorsqu’ils ont rendu ce jugement, les prud’hommes ignoraient encore qu’une information judiciaire visant UBS France serait ouverte. Ni que le Sénat lui-même en viendrait à s’intéresser à ce qui n’était en apparence, au départ, qu’une série de conflits banals entre un employeur et ses anciens salariés.

François Krug | Journaliste Rue89
28/06/2012 à 20h37
 
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