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la Cagouille Enchaînée
6 juillet 2015

"Le FN est une forme de Syriza à la française" ou l'égarement de Macron

Dans une conférence au sein des locaux du journal "La Provence", le ministre de l’Economie a sciemment amalgamé Syriza et… le Front national. Il s’empare ainsi de la propagande grossière de l’extrême droite qui voudrait faire croire que Syriza est un allié politique. Une vieille histoire de la confusion ordinaire qui n’en finit pas. Décryptage.

MacronUne grosse fièvre sévit à travers la classe politique et parmi les médias : elle se nomme confusionnite. Lundi, lors d’un colloque d’entrepreneurs organisé par le quotidien régional La Provence, Emmanuel Macron s’est montré lourdement atteint par ce mal moderne. « Le FN est un Syriza à la française, c’est le repli sur soi », a lâché le subtil ministre de l’Economie, selon le compte Twitter du journal. Le message a été supprimé dans la foulée, réapparaissant de longues minutes après, aux alentours de 16 heures, sous une tournure pas vraiment plus maline : « Le FN est une forme de Syriza à la française. Qui adore Syriza chez nous ? M. Mélenchon et Mme Le Pen. » Mais comme cela ne sufisait pas à dissiper le « malentendu », une nouvelle formulation, en trois messages cette fois, a été postée aux alentours de 20 heures : « [Le FN] est, toutes choses égales par ailleurs, une forme de Syriza à la française, d’extrême-droite. »

 

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« Toutes choses égales par ailleurs », le fond du propos est à peu près identique ! Même si du côté de Bercy, on essayait ce lundi soir de désamorcer cet épisode en expliquant que « le ministre » ne voit bien évidemment pas de parallèle entre « les valeurs » du FN et celles de Syriza... De toutes façons, de la bouche de Macron ou de n'importe quel homme politique, l’analogie entre « les extrêmes », qu’ils soient de droite ou de gauche, est en fait une vieille ritournelle. Front (national) contre Front (de gauche), le renvoi dos-à-dos de l'extrême droite et de la gauche radicale condamne à la pendaison les alternatives antilibérales. De tels rapprochements, on s'en souvient, avaient déjà été esquissés par le dessinateur Plantu sous le terme « néopopulismes ».

Qui fait « le jeu du FN » ?

Dans son immense originalité, Emmanuel Macron ne fait donc qu’emboîter le pas à de très nombreux prédécesseurs qui ont déjà foulé ce chemin de la confusion. Après Copé et Sarkozy, c’est le très fin Alain Duhamel qui, dans l’édition de Libération datée du 1er juillet, livrait une chronique laissant un même goût amer : « Lorsque Alexis Tsipras avait remporté les élections législatives en janvier, Marine Le Pen avait trompeté sa joie et avait tambouriné son allégresse (…). La Grèce allait être la maquette de l’extrême droite française. »

Macron et Duhamel — mais s'en rendent-ils seulement compte ? — font là un sacré compliment au FN, en sous-entendant qu'il serait le seul parti en France soucieux d'en finir avec l'austérité administrée par les institutions européennes. Ces belles âmes, toujours prêtes à dénoncer ceux qui font le fameux « jeu du FN », ne font finalement que reprendre l'argumentaire du parti qu'elles prétendent combattre.

Car le parti d’extrême droite a instrumentalisé de longue date les succès de la gauche radicale grecque. Lors de la victoire de Syriza aux élections législatives, Marine Le Pen avait salué la « gifle démocratique monstrueuse ». Son fidèle Florian Philippot, lui, avait déclaré « souhait(er) vivement la victoire de Syriza ». Ce flirt s’apparente plutôt à un surf, dont le but est de se nourrir des miettes de leurs succès électoraux. Au fond, il y a un gouffre idéologique entre les deux formations. Dans un communiqué publié sur l’Humanité.fr, Alexis Tsipras, pas dupe de ces récupérations qui sont autant de disqualifications, se départissait d’entrée de toute convergence avec le Front national. « La montée de Syriza et des forces progressistes en Europe est un bastion contre la montée de l’extrême droite que représente Marine Le Pen », écrit-il.

Mariage contre-nature

Il n’est pas parvenu à l’esprit alerte de Macron que le programme de Syriza n’a rien en commun avec celui du FN. Non seulement sur les questions sociales, mais aussi sur les questions d’immigration. Syriza préconise ainsi la « naturalisation » pure et simple des immigrés, veut « faciliter le regroupement familial » et « l’accès à la santé publique et à l’éducation pour les migrants ». Des idées aux antipodes de la « préférence nationale » ou de la suppression de l’aide médicale d’Etat pour les migrants, que proposent Marine Le Pen. Le fossé programmatique révèle des divergences de valeurs irréconciliables.

Même chose sur les questions européennes. Alors que le FN préconise une sortie de l’euro, et envisage un possible référendum auprès des Français sur la sortie de l'Union européenne, Syriza ne défend pas aujourd'hui l'idée d'en finir avec la monnaie unique. Peut-être la formation grecque sera-t-elle amenée à revoir ses positions en fonction de l'avancement des négociations avec ses « partenaires ». Mais aujourd'hui, elle ambitionne surtout de « mener la lutte contre la politique d'austérité qui ruine l'Europe », selon les mots de son leader. 

Construire des paniers idéologiques

Côté Front national, le vernis a craquelé plus d’une fois. Quand Syriza veut effacer la plus grande partie de sa dette , Marine Le Pen explique, elle, dans un communiqué en février de cette année, que si le FN est pour « un éventuel moratoire sur la dette avec un rééchelonnement de la durée et des intérêts », son parti reste contre une annulation, même partielle, de la dette grecque. Pour le FN, le remboursement est même un « devoir éthique ». Lucide, le même texte glisse d'ailleurs, entre deux virgules, que le FN ne « partage pas le programme politique de Syriza ».

Si la vocation de l’extrême droite est, par opportunisme, de fabriquer des paniers idéologiques, en détroussant notamment des intellectuels comme Jacques Sapir, Frédéric Lordon ou Jean-Claude Michéa de certaines de leurs idées, elle n’en conserve pas moins son fond inégalitaire et identitaire, qui tranche avec l’« internationalisme » revendiqué de Syriza.

C’est d’ailleurs Macron, dans la même intervention à La Provence, qui indique le mieux la démarche à suivre. « Face au FN, la meilleure réponse est d'avoir un discours de vérité en mettant le doigt sur leurs incohérences. » Peut-être Emmanuel Macron serait-il bien inspiré d'écouter plus attentivement Macron Emmanuel ?

Article réactualisé lundi 6 juillet à 21h00.

Marianne.net

 

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