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la Cagouille Enchaînée
16 septembre 2011

EXPOSITION : LES POTS DIVINS DE LA FRANÇAFRIQUE

Il existe une Françafrique qu'ignorent ces gros balourds que sont les conseillers plus ou moins occultes de l'Elysée, trop occupés à compter les biftons, porter des valises et cultiver les prébendes de leur jardin. Une manne pourtant, un trésor sans égal, que Rue89 (qui a eu accès au dossier très instructif) est en mesure de révéler : la Françafrique des potiers et des potières.

Camille Virot, un dangereux initiateur

L'affaire commence au début des années 90 dans un petit village du côté de Forcalquier, une sorte de Tarnac provençal, à deux pas d'un autre village rendu célèbre par l'affaire Dominici. Là, au flanc d'une colline odorante, habitent Camille Virot et Pascaline, son épouse.

Potier, Virot est aussi fondateur des éditions Argile. Une couverture ? Pas seulement. Pascaline et Camille commencent par publier un « Dossier raku » qui vous apprend comment façonner ces bombes incendiaires que sont les poteries faites selon la technique venue de loin du raku. Le dossier en est à sa troisième édition.

Depuis, ils ont publié d'autres dossiers, créé d'autres collections tandis que Camille poursuivait son œuvre potière souvent pionnière. Bref, Virot est un dangereux agitateur. Et non moins initiateur. Car c'est lui qui lâche le mot magique : Afrique ! Et ouvre ainsi une fabuleuse boîte de Pandore.

La bande des onze voyageurs

Tel Foccart ou l'un de ses disciples réunissant un parterre choisi d'hommes de l'ombre, Virot réunit autour de lui une dizaine de comparses, potiers comme lui ou potières dont Rue89 est en mesure de révéler les noms. Outre Camille Virot, par ordre alphabétique :

Tous bien connus du milieu, souvent interlope et tout autant discret, de la terre cuite.

Durant quatre ans, de 1991 à 1995 (mais plusieurs y reviendront par la suite au fil de diverses aventures), en toute impunité, les onze céramistes (mot plus masculin-féminin que potier) sillonnent l'Afrique de l'Ouest (Mali, Cameroun, Burkina-Faso, Nigeria, Niger, Togo) et aussi l'Egypte.

Ce ne sont pas des allers-retours en jets privés, le temps d'échanger quelques impressions, bons mots et valises devant un « drink » dans un mœlleux salon, mais des séjours au long cours à griffonner des carnets de notes et de dessins, à dormir in situ dans les villages des potières (en Afrique, le métier est essentiellement voué au féminin) et à acheter des trésors : des pots, des jarres et non des moindres.

Sèvres, plaque tournante du trafic

Là où le regard de l'ethnologue ne s'attarde pas (trop neuf) et où celui du touriste se détourne (trop gros, trop fragile), celui du potier se love dans le geste des potières, s'attarde sur ces formes aussi parfaites qu'envoutantes que les potières tapotent avec leur paume ou une planchette après les avoir enfantées entre leurs doigts.

Virot a donné à chacun un budget (l'affaire a été subventionnée par diverses officines) pour rapporter des belles et souvent grandes pièces. Les voici là, réunies à la Manufacture de Sèvres rebaptisée Cité de la céramique, où nous avons pu nous glisser incognito lors d'un rassemblement connu sous le nom de « vernissage ».

Le cheminement se veut logique et pédagogique :

  • une salle vouée aux enfants à travers l'histoire d'une petite fille potière ;
  • puis les différentes étapes du labeur, de l'extraction de la terre à la cuisson en passant par le façonnage ;
  • ensuite, quatre films montrant les quatre techniques de la poterie en Afrique,
  • enfin, les retours d'Afrique que sont les œuvres rapportées des différents pays et aussi les œuvres créées depuis par les onze comparses.

Des carnets de voyage sur écoute

Par bonheur, grâce aux pièces exposées et avec l'aide de la scénographie souvent judicieuse de Vincent Dupont-Rougier, l'exposition se révèle d'abord esthétique. Car elle multiplie les allers-retours.

Ainsi, ce pot pour transporter l'eau collecté par Camille Virot chez les Dogon du Mali, cette jarre gwari du Nigeria choisie par Thiebaut Chagué, cet étonnant « grenier de femmes » qu'Edmée Delsol a remarqué chez une potière gouin au Burkina-Faso, etc.

Des pages de carnets de voyages servent de décor aux œuvres rapportées, on aurait préféré qu'un catalogue conséquent en rassemble les meilleures pages où croquis et mots font la paire.

La dernière salle entremêle les œuvres rapportées et les œuvres créées depuis par les onze artistes. Influence ? Sans doute (on ne revient jamais indemne d'un long séjour dans des villages d'Afrique). Mais informe, informulable, même si des « termitières » de Chagué aux « Têtes » (qui rappellent certains masques africains) et autres « boîtes-pirogues » de Virot, l'Afrique regarde pardessus l'épaule du potier en amie complice.

« Le soir, on avait l'impression d'avoir vécu deux journées en une » notent Josette Miquel et Hervé Rousseau, potiers à Boisbelle, à deux pas de La Borne (Berry) où est installé Eric Astoul qui, lui, écrit :

« De l'Afrique, je voudrais toujours m'imprégner de la grande plénitude des pots. »

Claude Varlan, dont on aime le flamboiement de couleurs de ses grands pots, a comme beaucoup été sensible à la vitesse étrange du temps des potières :

« On dirait que tout va lentement et on est pris de vitesse. Les choses se font sans aucune brusquerie, rythmées. »

Edmée Delsol, qui associe avec maestria le verre et le raku, parle d'une « imprégnation lente ». Mais c'est Denise Millet qui a peut-être la formulation la plus juste en parlant de « pots vivants sans vanité d'éternité ».

Le repère de Kalabougou

Camille Virot profite de cette exposition « Terres d'Afrique, retour d'Afrique » pour publier « L'Atelier Kalabougou », dernier bijou de la Françafrique des potiers. Plusieurs potiers de la bande des onze et bien d'autres ont porté leurs valises dans ce village malien où, parti de Ségou, il fait bon arriver en pirogue.

L'ouvrage réunit des Maliens, des Franço-Maliens et des Français, tous, des professeurs aux collectionneurs, épris des potières de Kalabougou. Mais comment ne pas l'être quand on les voit tourner littéralement autour de leur pot ?

Cet ouvrage d'un agréable format (16x17) multiplie les photos (portraits de 100 potières, scènes de la cuisson collective, etc.), entre deux judicieux éclairages par exemple sur l'« arbre miracle » ou le pétrissage qui se dit « don », ce qui veut dire danse.

Ce n'est pas demain la veille que la Françafrique des potiers sera démantelée.

Terres d'Afrique, retour d'Afrique exposition à la Cité de la céramique à Sèvres - tlj sauf mar., 10-17h - jusqu'au 2 janvier 2012 -01 46 29 22 00

L'Atelier Kalabougou éditions Argile (Hameau de Vière, 04150 La Rochegiron) - 504p. - 31€ port compris.

Photos : potière préparant le feu à Bili-Ibib, au Cameroun (Camille Virot) ; jarre de Claude Varlan (Martine Beck-Coppola).

 

Par Jean-Pierre Thibaudat | Journaliste | 15/09/2011 | 17H52 

RUE89.com

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