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la Cagouille Enchaînée
18 décembre 2012

Réforme bancaire : des actes pas à la hauteur des mots ?

François Hollande lors de son discours du Bourget, le 22 janvier dernier. (Photo Benoit Tessier. Reuters)

Analyse Le projet, qui sera présenté mercredi en Conseil des ministres, s'annonce moins contraignant que les déclarations de campagne de François Hollande.

Le monde de la finance n’avait qu'à bien se tenir. Elu président de la République, François Hollande allait mettre le secteur bancaire français au pas. Et au service de l'économie réelle, celle qui crée des emplois. Le 22 janvier, au Bourget, lors du meeting le plus commenté de sa campagne, le candidat socialiste avait marqué son auditoire et l'électorat de gauche en lançant: «Mon véritable adversaire, il n’a pas de nom, pas de visage […], il ne sera pas élu, et pourtant il gouverne. Cet adversaire, c’est le monde de la finance», qui «a pris le contrôle de nos vies». Une tirade mobilisatrice et un moyen pour Hollande de capter politiquement l’exaspération des Français à l'égard du système financier, défiance renforcée depuis la crise bancaire de 2007-2008.

Dans le programme du candidat socialiste, cette exigence s'était traduite par l’engagement numéro 7 : «Je séparerai les activités des banques qui sont utiles à l’investissement et à l’emploi de leurs opérations spéculatives.» Tous les observateurs avaient alors évoqué un «Glass-Steagall act» à la française, du nom de cette loi votée au Etats-Unis en 1933 et abrogée en 1999, interdisant strictement à une même banque de cumuler dans la même structure activités de dépôts et de spéculation. Au nom d’un principe politique simple : que les contribuables ne se retrouvent plus à payer de leur poche l'éventuelle faillite d’un établissement bancaire. Ce qui nécessite de ciconscrire autant que possible le risque de contagion entre les activités de marchés, les plus risquées, et les activités de détail, qui bénéficient d’une protection publique (notamment via le système de garantie des dépôts).

Encadrement marginal

Mais rien de tel n’est prévu dans le projet de loi qui sera présenté ce mercredi en conseil des ministres. Celui-ci s’annonce sensiblement moins contraignant que les déclarations de campagne du candidat Hollande. Et même en-dessous du texte voté en Grande-Bretagne et qui s'appliquera en 2017. En France, seules les activités spéculatives réalisées par les banques pour elles-mêmes, en leur nom propre, devront ainsi être isolées de leurs activités de dépôt. Soit à peine 2 ou 3% du chiffre d’affaires de banques françaises comme BNP Paribas ou la Société générale. Un encadrement marginal pour des banques qui appartiennent au petit cercle des établissements «too big to fail», dont la chute aurait de telles conséquences que l'Etat les sauvera à tout prix. Le projet de loi ne leur interdira en tout cas pas de cumuler sous la même enseigne des activités de détail avec des activités spéculatives quand celles-ci sont liées au financement et à l’investissement. Ce qui signifie que cette spéculation a été jugée par Bercy comme suffisamment «utile» à l'économie réelle pour passer entre les mailles du filet.

Malgré ce décalage entre les mots du candidat et les actes du Président, Hollande continue ces dernières semaines à parler sans plus de précision d’une prochaine séparation entre les activité de dépôt et de spéculation. Bien conscient de l'intérêt d'un discours un peu guerrier à l'encontre les banquiers en ces temps agités, sur un ton quand même moins vindicatif que celui qui avait fait mouche à la tribune durant la campagne présidentielle et avec une réforme moins ambitieuse que celle qu'espéraient de nombreux parlementaires PS.

Un renoncement de plus

Avec sa réforme bancaire, Hollande tenait pourtant l’occasion de montrer que la puissance publique a encore son mot à dire pour réguler la mondialisation financière. Or depuis son élection, le Président n'a pas multiplié aux yeux de l'opinion les victoires concrètes ou même symboliques sur les marchés financiers et ses grands acteurs, comme l’a encore illustré récemment le match du gouvernement face à Mittal. Si le projet de loi présenté demain par le gouvernement, aussi technique soit-il, déçoit, cela apparaîtra jusqu’au sein du PS comme un renoncement de plus. Les politiques seront alors nombreux à souligner que le candidat socialiste avait promis plus que ce que le Président ne tient, et qu’il capitule devant le lobby bancaire français. Il faut dire que la réforme – pilotée à Bercy, et en premier lieu par le Trésor et son directeur Ramon Fernandez, nommé sous Nicolas Sarkozy – a tout pour répondre aux exigences des banquiers français, qui n’ont en fait pas été inquiétés bien longtemps par la déclaration de guerre du Bourget.

Les banques mutualistes (Crédit agricole, BPCE, Crédit mutuel), qui ont martelé que leurs caisses et banques régionales détiennent leur filiale de financement et d’investissement et ne peuvent donc être scindées, ont notamment été entendues au sommet de l’Etat. Dès avril 2012, Michel Sapin, alors en charge du programme de François Hollande, assurait que la réforme bancaire envisagée par le PS ne visait pas à «casser» les grandes banques françaises, qui cumulent les activités, et qu’elle se ferait dans la concertation. «En France, ajoutait Sapin, vous avez de très grands établissements bancaires de statut mutualiste, il faut donc adapter ce type de réforme (…) à la réalité française.» Trois mois après le Bourget, le glissement était déjà sensible.

En octobre 2012 sur France 3, le ministre de l’Economie et des Finances, Pierre Moscovici, refusait, malgré la pression du Nobel d'économie Joseph Stiglitz, d’aller jusqu'à s'engager sur une scission parfaite, évoquant une réforme qui ne «séparerait pas totalement la banque de détail et activités de marché», assurant que «si on sépare, on risque de fragiliser les deux activités». Stricto sensu la rhétorique du lobby bancaire. En novembre devant l’Autorité des marchés financiers (AMF), le même Moscovici dévoilait une partie de sa réforme bancaire, précisant que le trading à haute fréquence, et ses millions d’ordres passés automatiquement par ordinateur, serait notamment interdit.

«400 000 emplois, tout de même !»

La  réforme, si elle épargne le modèle français des banques universelles, comme le réclamaient les poids lourds, inclut également un renforcement du pouvoir du superviseur, l’Autorité de contrôle prudentiel (ACP), et l’obligation pour les banques de mettre à sa disposition un plan de résolution en cas de crise grave. De quoi rassurer les banquiers français, qui ont mené depuis plus d’un an un intense et très efficace travail de lobbying. A coups de déjeuners, de conférences et de chantage à l’emploi comme d’appels à la défense patriotique des géants français du secteur. «Je pense que le Parti socialiste est un parti qui, à la fois est très déterminé à réformer la finance, à lutter contre la spéculation et qui, en même temps, est aussi attaché à cette industrie bancaire. 400 000 emplois, tout de même!», admettait officiellement Moscovici en octobre 2012.

Au final un projet de loi a minima ? La députée Karine Berger, secrétaire nationale du PS à l'économie et rapporteuse de la future loi, qui a été contactée dès le lendemain du Bourget par la Fédération bancaire française, le conteste. Un de ses collègues socialistes s’amuse de la voir si solidaire d’un texte qu’elle trouverait selon lui «timide et en-dessous de ce qu’il aurait fallu». Et le même député de prophétiser des amendements au Parlement pour durcir le texte au nom des engagements de la campagne présidentielle. Ils trouveront sûrement de l’inspiration auprès de Jean Peyrelevade (Modem), le seul banquier français favorable à une séparation rigoureuse, ou dans les travaux de Laurence Scialom, professeur d'économie à l’Université Paris-Ouest et auteur d’un rapport du think tank Terra Nova (voir document ci-dessous) plaidant en faveur d’une séparation des activités bancaires. Un rapport qui n’a pas intéressé Bercy.

Par JONATHAN BOUCHET-PETERSEN - 18 décembre 2012 à 12:16 (Mis à jour: 14:00)

LIBERATION.fr

 

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